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LA MISÈRE

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une seconde pour sortir, pour voler au secours de sa petite Lize. Elle serait la première dehors ; elle saurait bien expliquer… elle n’avait pas peur… il s’agissait de son enfant… Le chef était un homme, il ne la mangerait pas, il l’entendrait, il aurait pitié ! Peut-être ce serait un père ! Un père ! cela lui rappelait M. Rousserand et elle craignait tout. Aussi, pourquoi les femmes n’étaient-elles pas juges, quand il s’agissait d’autres femmes Elles comprendraient mieux, elles seraient clémentes. Les hommes ne pensaient qu’à punir. Le sentiment passionné, qui se dégageait de son enfant, absorbait tellement toutes les facultés d’Angèle qu’elle ne voyait plus que lui dans l’univers. Père, mère, frère, petites sœurs tant aimées, tout ne lui était plus que des affections secondaires, effacées, presqu’oubliées en ce moment terrible. Affolée, elle voulait pourtant paraître tranquille. Vaguement, elle sentait que le calme est une force et elle voulait être calme. Enfin, une clef tourna dans la grosse serrure et la porte s’ouvrit. Une religieuse de l’ordre de Marie-Joseph entra dans la salle suivie d’un homme apportant des gamelles pleines de soupe. Angèle se précipita dans le corridor, mais elle fut saisie par une sentinelle qui la ramena de force. Alors, elle se mit à genoux devant la sœur, et les mains jointes, elle supplia qu’on la laissât sortir. Mais, ma pauvre petite, dit la sœur, je n’ai pas le pouvoir de vous faire mettre en liberté. Je suis innocente. Je vous crois, mais je n’y puis rien. — Oh ! si, madame, si, vous y pouvez quelque chose faites-moi parler au chef. Je.. — Quel chef ? Celui qui commande ici. Le préfet de police ? Je ne sais pas. Celui qui peut me faire sortir. Et comme la religieuse la repoussait doucement, cherchant à se dégager de ses étreintes, Angèle se cramponnait à elle en disant : Madame ! madame ! Il faut que je sorte ! Vous n’avez pas eu d’enfant, mais vous avez eu une mère, n’est-ce pas ? Ayez pitié de moi ! Je suis mère, je suis innocente ! Ma petite Lize est innocente aussi. Je ne voulais que du travail ! Elle est toute seule dans une maison ! On m’a emportée. je n’ai pas su. C’est un vrai coupe-gorge !… Personne ne viendra la secourir !.. songez donc, madame, elle a six mois.. Si vous la voyiez madame, vous en seriez tout attendrie. Il y a là une demoiselle qui la connaît… une honnête demoiselle !… Elle peut vous dire que je cherchais du travail avec l’enfant sur les bras… Laissez-moi passer, dit la sœur, plus émue qu’elle ne voulait le paraître, laissez-moi passer, je n’ai pas le pouvoir que vous me supposez, cependant je vais parler à quelqu’un et quand M. X… viendra, il vous interrogera tout de suite.