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LA MISÈRE

149 Le va-nu-pieds n’avait pas menti : ces étranges criminels que la mort ou la détresse de leurs mères, l’abandon de tous jettent sur le pavé où la police les ramasse, comme la voirie y ramasse le fumier, ces petits, ces innocents, avant d’avoir un abri honnête, doivent aller en prison !… En prison ! O femmes qui couvez de votre amour et de vos soins, dans une atmosphère de vertu, les enfants que la nature vous a donnés, avez-vous connaissance de ce crime ?… Quoi ! parce qu’elles sont détachées de leur tige, des fleurs de l’humanité, des enfants devront séjourner dans des lieux de désolation et de honte, y respirer l’air que toutes les impuretés sociales ont corrompu en y passant !  !  ! Et dans notre criminelle indifférence, nous osons nous vanter d’être parvenus à un certain degré de civilisation ! Mais les sauvages sont plus avancés que nous du côté des sentiments et des secours dus à l’enfance malheureuse ! Chez les Peaux-Rouges, l’orphelin a pour mères toutes celles de sa tribu, quand certains des nôtres ont la prison en attendant l’hospice !… Nos administrations municipales, qui dépensent tant d’argent pour encaserner les abandonnés, les orphelins, quand elles ont cessé de les emprisonner, ne pourraient-elles imiter ce qui se fait en Suisse, où l’adoption dans les familles devient un honneur, une récompense pour celles que la commune juge dignes de faire l’éducation de ses pupilles ? C’est là un système peu coûteux, basé sur la nature, et qui donne à l’orphelin tout ce qui lui manque dans les établissements de l’Assistance publique : la tendre affection d’une femme, la protection d’un homme et la possibilité de développer des sentiments de famille, base et point de départ de toute morale humaine. On fit asseoir le petit entre Auguste et l’ivrogne ; l’apprenti rapprochait de lui, le plus qu’il pouvait, l’orphelin pour le réchauffer. L’ivrogne lui passait les mains dans les cheveux, pleurant sans larmes et comme un dindon glousse ; il cherchait à consoler l’enfant, à le rassurer. --1 As pas peur ! disait-il entre deux hoquets, as pas peur ! nom d’un chien ! Je vas parler au commissaire, moi, Cadet Baudin, qu’a servi la Commune, et c’était pas pour les trente sous, nom de Dieu ! Je vas parler au commissaire, et je t’adopte, tu viendras chez la bourgeoise et puis ni ni c’est fini pour la pompe ! Tu seras mon héritier, et quand on a un héritier, faut gagner des pépettes, nom d’un pétard ! faut en gagner. Oui. -Taisez-vous, biberon, dit Martin, le pauvre gosse aurait un joli tuteur avec vous. De quoi ? J’suis un peu licheur, c’est vrai, mais j’fais de mal àpersonne. — Avec ça, et la marchande de vin que vous avez assommée ? J’y ai mis l’œil au beurre noir, c’est encore vrai, mais, voyez-vous, sergent, c’est que j’aime pas qu’on m’ostine et la mastroquette m’ostinait là : a voulait me soutenir que j’étais dedans, quand c’était elle qu’était dedans. Nom d’un chien, est-ce qu’on peut se laisser asticoter comme ça par une femelle qu’a son jeune homme ! J’y ai donné une petite giffle avec mon poing, pas plus que ça. Mais ni ni, c’est fini, à bas les pattes quand on a un héritier, faut être tranquille et taire sa gueule et gagner de la morniavaise. T’entends, mon fiston ? Embrasse pépère.