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LA MISÈRE

167 « Mais j’y songe, fit-elle négligemment, il serait peut-être bon dans les circonstances difficiles que nous traversons d’aller te mettre à la disposition des bons Pères. > Hector fit la grimace. Il redoutait les révérends qui s’arrogeaient sur lui un droit de direction et se montraient souvent parcimonieux pour les services rendus. Et puis, il avait ce jour-là un rendez-vous avec quelques viveurs de son espèce pour une de ces parties, sans nom, dans lesquelles des filles du ruisseau, des plats pimentés, du tabac de caporal, le débraillé de rigueur réveillaient chez ces êtres fourbus par les jouissances de la haute vie, quelques sensations violentes que, dans leur dépravation satisfaite, ils décoraient du nom de plaisirs. — Je suis de conseil aujourd’hui, hasarda le comte, je crains qu’il me soit impossible… Blanche regarda son frère dans les yeux. C’est à moi, demanda-t-elle, c’est à moi, que tu veux faire accepter de semblables prétextes ? Mais je t’assure… Allons donc, je sais fort bien que tes administrateurs peuvent l’attendre et te voient le jour où leur caissier te paye le droit qu’ils ont acheté d’étaler ton nom et tes titres sur les prospectus. En dehors de cela, tu ne vas jamais au siège social de ton entreprise. Je t’ai fait entendre qu’il serait bon, maintenant je te dis, sans ambage, qu’il faut aller voir nos amis. Comprends-tu ? C’est bon !… c’est bon ! on ira, ma petite reine, pas moyen de vous en conter, pas moyen surtout de vous résister. Mais, dis-moi, Blanchette, plaisanterie à part, as tu quelques louis à me prêter ?… Comment, le premier du mois ? Eh oui, une dette de jeu, je suis à sec. Au journal on ne paye que le dix. Ce n’était pas le moment de récriminer. Blanche prit dans son petit secrétaire en bois de rose, un billet de cinq cents francs et le tendit à Hector. € Tiens, » lui dit elle, « mauvais sujet, si nous ne réussissons pas auprès de M. de Saint-Cyrgue, tu seras peut-être bien heureux que je t’aie préparé la petite chenille et son cocon dont tu sembles faire fi ! Sans les munificences des Rousserand à mon égard, je ne pourrais même te prêter cette misère. >> Le comte empocha le billet sans cérémonie, embrassa sa sœur et s’en alla d’abord déjeuner, après quoi il prit une remise et se rendit à la rue des Postes, entra dans la maison que nous connaissons déjà, y fut reçu par le même prêtre, le révérend Davys Roth, un des jésuites chassés d’Allemagne, une sorte de cadeau de M. de Bismarck, parlant français comme un Parisien, ayant fait ses études à Saint-Sulpice. Après les compliments d’usage, le saint homme dit au comte : www — Mon fils, vous rendez des services à l’Église et je ne puis m’empêcher de vous porter pour cela un tendre intérêt. Mais, d’un autre côté, vous menez une conduite entièrement opposée aux principes que vous proclamez dans vos conférences. Cette conduite, je dois vous en avertir, vous conduira en cette vie à une