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LA MISÈRE

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« Il va sans dire que le jeune corbeau guettait l’aire et la proie de l’aiglon. » > << Maxis, sans s’en rendre compte, mais avec l’intuition des natures droites, se persuada que Madozet n’était pas étranger à son désastre. C’était donc avec une sourde colère qu’il se présenta chez le régisseur. » Madozet devina instantanément les dispositions de Maxis ; il vit què les excuses et les explications qu’il avait données, par lettres, n’avaient pas été reçues. Des monceaux de papiers couvraient son bureau. » XVous le voyez, Monsieur le chevalier, je m’occupe toujours du débrouillement de vos affaires. >> « C’est bon, c’est bon, maître Madozet, » reprit Maxis en s’asseyant, vous nous avez donné des preuves de la bonne gestion de nos biens, et, puisque vous êtes en train d’en tirer au clair les dernières bribes, ayez la bonté de me dire si, avec ce qui me reste, je puis servir d’honnêtes pensions aux serviteurs de ma famille ? >> « Monsieur le chevalier, après la liquidation, il vous restera tout au plus dixhuit cents francs de rente. » « Il ajouta, avec une sorte de timidité : Et tous mes appointements me sont dus, depuis trois ans. Ce qui fait, monsieur Madozet ? Que M. le chevalier me doit six mille six cents franes et les intérêts. » > « Impudent ! drôle ! » cria Maxis furieux, il faudra que je te paye pour m’avoir ruiné, et tu oses me réclamer des intérêts, encore ! Des intérêts | tiens, fripon ! les voilà ! » > « < Il cingla quatre ou cinq coups de cravache sur la figure blème de Madozet, qui ne poussa pas un cri. Il sut dominer sa douleur et sa rage ; il lui importait de laisser croire qu’il était en bons termés avec M. de Pont-Estrade. » « De là, Maxis se rendit chez son notaire. Le brave homme, très bourru d’ordinaire avec son client, le reçut avec une grande affabilité et lui offrit de puiser dans sa bourse. ▸ « Diable ! mon vieil Audiffret, lui répondit le chevalier, la ruine est bonne à quelque chose, puisqu’elle nous sert à connaître nos vrais amis. » > — » — Hélas ! je ne serai pas longtemps le vôtre, monsieur de Pont-Estrade, je suisvieux ; hâtez-vous de tirer de mon amitié tout ce qui vous en peut être utile. » Merci Audiffret, je n’accepte que ce que je puis rendre ; il me reste dix huit cents francs de rente, j’aime autant rien que si peu ; constituez-les en viager à mes domestiques, proportionnellement à leurs années de services. »

  • Le notaire fit des représentations ; elles ne furent point écoutées. Tous les

serviteurs de Pont-Estrade eurent des retraites, excepté Madozet, dont le compte, grossi des intérêts et des coups de cravache, fut soldé plus tard. » << Lorsque Maxis revint à l’étude pour signer les brevets des pensions, le vieux notaire inquiet lui demanda : — » (Qu’allez-vous devenir, maintenant ? » Le diable m’emporte si je le sais ! » répondit insoucieusement le chevalier ; « je vais peut-être solliciter du service chez les Turcs, comme mon cousin de Bon-