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LA MISÈRE

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  • perdu dans les nuages, dont les tours démantelées, les murailles décrépites, les

« hautes salles habitées par les hirondelles, ont fait envoler tous les oiseaux « bleus de la gente châtelaine. » Et la gente chatelaine ce serait moi. » > « Hélas ! oui, ma chère, je le crains bien, je coifferai, sans doute, cette sainte renfrognée que je me représente revêche et maniaque, ayant emporté au paradis sa perruche, son parapluie et son chien. Ne ris pas, je parle très sérieusement. « Chère amie, Cervantès a tué le dernier des chevaliers errants, et quel autre qu’un don Quichotte oserait grimper à la Roche-Brune pour y apporter ses hommages à une fille sans dot ? >> Tu me demandes des nouvelles du monde ? » « Le monde que je vois ici, je le découvre de ma tourelle : il est vert, émaillé de bouquets blancs et roses, d’arbres fruitiers en fleur ; des ruisselets le traversent ; des montagnes couronnées de neige ou voilées de nuages floconneux le bornent au loin ; les oiseaux l’animent de leurs chants ; des troupeaux de chèvres et de moutons l’habitent sous la garde des bergers. » « Tout cela est grand, c’est un morceau de l’infini ! Ce monde-là ne te fera jamais oublier. » > « Adieu, chère bonne, le facteur rural, qui nous traite toujours en seigneurs, vient me demander mes lettres. Le cher homme est vieux, je ne veux pas le faire revenir demain. Dans quelques jours, tu auras une autre missive. Tu le vois, je suis stylée, je fais honneur à nos maîtresses, je ne me répète pas. » LA MÊME A LA MÊME. « La Rocne-Brune est une ruine ; la giroflée et le lierre y masquent seuls les crevasses que le temps a ouvertes dans ses créneaux ; les hautes salles sont : nues et décarrelées, les fenêtres, dégarnies de châssis, ont l’air d’yeux sans prunelles ; les statues du parc sont mutilées ; les fontaines taries n’ont plus dans leurs bassins de lave noire que des eaux stagnantes, versées par la pluie ; le toit est crevé en plusieurs endroits. Heureusement, la mousse a mis des rideaux verts sur les blasons, honteux de tant de misères. >> « J’ai eu toutes les peines du monde à me trouver une chambre au milieu de cette longue file d’appartements qui, sous Louis XV, logea le Royal-Cravate, dont mon aïeul était colonel. >> « La chambre que j’ai choisie, je suis parvenue à la rendre habitable avec l’aide de mon frère de lait, Jean-Louis Allard, et mon cousin, Maxis de Pont-Estrade, qui m’ont aidée. J’ai ramassé plusieurs lambeaux de tapisserie, nous les avons cloués sur les murs et sur le carrelage, dont Jean-Louis a bouché les trous avec de la terre glaise. Mon cousin a fait poser des carreaux aux fenêtres et m’a confectionné deux belles jardinières en souche de vigne, qui s’harmonisent très bien avec six vieux fauteuils de chêne, dont le dessus déchiré a été remplacé par une étoffe d’un bleu sombre, que Maxis a posée lui-même avec des clous à larges têtes de fer argenté. »

  • Quand toutes ces réparations ont été faites, Maxis s’est frotté les mains :