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LA MISÈRE

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ensemble. Elles eurent de ces entretiens naïfs, si pleins de charme, dans lesquels les jeunes âmes commencent à s’ouvrir à la douce chaleur des sentiments de choix. » « Valentine fut la providence de Lucy ; elle la défendit, mit en lumière ses belles qualités, son intelligence déjà remarquable ; révolutionna l’opinion eň sa faveur, et, par un de ces revirements comme on en voit parfois dans le monde fit porter au pavois celle qui gémissait dans l’abaissement du ridicule. » « Le cœur de Lucy éclatait d’une reconnaissance dont l’expression était une sorte d’adoration muette pour Valentine. Jamais un nuage ne vint assombrir leur amitié : l’une était si douce, l’autre était si bonne. » « Tant que Valentine y demeura, le couvent fut une sorte d’oasis pour les deux amies. Lucy aurait pris le voile avec joie, ayant au fond de l’âme une espèce de coquetterie puérile qui lui faisait souhaiter de paraître belle aux yeux de son amie. La prise d’habit ne serait pour elle autre chose qu’une fête dans laquelle sa sœur comme elle appelait Valentine la verrait à travers des flots de mousseline et de dentelle, enveloppée d’un nuage d’encens et éclairée par la chaste lumière de mille cierges. ». « Avec la vénération que lui inspirait l’habit religieux et les soucis d’une position personnelle, tels avaient été les plus puissants ressorts de la vocation de Lucy. ».. « Le départ de Valentine n’avait jamais été prévu. O jeunesse ! jours charmantssur lesquels l’avenir ne projette jamais d’ombre, où les prévisions du lointain ne peuvent flotter qu’en étendards couleur de rose. O jeunesset temps béni. Les fondateurs de toutes les religions n’ont pas trouvé de meilleure récompense pour la vertu que de te promettre éternelle ! » CHAPITRE XXVIII L’INONDATION VALENTINE A LUCY. Ta lettre est un adieu suprême ; elle m’a déchirée ! Tu souffres d’autant plus « que tu ne sens pas ton mal. Tu voudrais mourir, dis-tu, mais tu te meurs ! « L’étroite règle t’étouffe, le silence te glace, le couvent te tue. Viens, la Roche<< Brune est pleine de soleil. De ma fenêtre, nous entendrons, dans le chemin « creux, chanter les laboureurs qui vont aux champs ; le dimanche, sur la place « de l’église, nous irons au village voir danser les jeunes filles. >> << Viens, que je réchauffe ton pauvre cœur refroidi. Viens, petite sœur, ma « < chambre est assez grande pour deux ; nous y serons comme dans un nid. Viens, « tu m’aideras à faire mon salut, je t’aiderai à vivre ; nous ferons du bien autant « que cela sera possible, et puisque nous n’avons pas d’or à donner aux malheu « reux, nous leur donnerons un peu de notre cœur et de notre temps. »