Page:Michel - La misère.pdf/250

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
250
LA MISÈRE

250

sait ! Ce sont là, peut-être, les véritables côtés sous lesquels nous devrions envisager les actes accomplis et qui doivent s’accomplir encore. » « Mais qu’importe au méchant que le soleil se couche ou se lève ! La paix de la nature ne se communique point à son cœur ; les harmonies du soir glissent, sans s’y arrêter, dans son cerveau rempli de projets ambitieux ; que lui importe ce qui fait impression aux humbles et simples. Lui, insensé, court au but qu’il a donné à sa vie, croyant y trouver le bonheur. Comme si le bonheur existait sans la vertu. « Madozet pressait sa monture. Des flots de haine, d’espoir, d’amour et de triomphe lui montaient au cœur. Dans le paroxysme d’une fiévreuso surexcitation, il parlait seul en apostrophant les personnages avec lesquels il allait entrer en scène. Il disait : » « Belle Valentine, orgueilleuse patricienne, et vous, stupide gentillâtre, bouffi de vanité et de folles prétentions, vous voilà dans mes serres : prenez garde. Ah ! je vous al suppliée, gente demoiselle, je vous ai demandé votre cœur à genoux, j’ai eu l’air de trembler sous la glace de votre regard ; les rôles sont changés maintenant ! » « Il était presque arrivé. La Roche-Brune découpait en noir, sur le ciel doré du couchant sa silhouette mélancolique. Quand il fut en face de cette ruine majestueuse, il lui montra le poing : Ahl vous m’avez insulté, » dit-il tout haut, « vous m’avez insulté, orgueilleux débris d’un fantôme de puissance. Eh bien, moi, si je n’obtiens satisfaction pleine et entière, je ferai passer la charrue dans votre parc, je vendrai les sculptures de vos blasons pour en faire des enseignes d’auberge ! » « Il était arrivé devant la vieille grille. Il sonna, comme n’avait jamáls sonné le maître. » « Nanette, qui flairait un ennemi puissant, vint humblement prendre la monture de Madoret et la conduisit à l’écurie. » « M. Paul venait de diner comme un chasseur qui a trouvé le repas servi cuit à point, Assis dans un grand fauteuil, les jambes croisées devant une table sur laquelle il y avait trois tasses, le comte en attendant qu’on versàt le thé, se donnait encore l’immense béatitude de fumer un délicieux cigare, son œil suivait avec intérêt la vapeur légère qui sortait de sa bouche et dont les capricieux méandres montaient se perdre dans la tiède atmosphère de l’appartement. » « Valentine et Lucy allaient et venaient par la chambre, avec ce gazouillement d’oiseau que l’on n’écoute pas, mais que l’on est charmé d’entendre, à travers la rêverie dans laquelle vous jettent une bonne digestion et les fumées du tabac. » « M. Paul, dégrisé des vanités terrestres, se trouvait bien dans sa médiocrité ; il se baignait dans le calme d’une vie tranquille, et si, parfois, à la vue de sa fille, une pensée importune venait plisser son large front, il se disait « Baste ! elle n’a que dix-sept ans, elle est adorablement belle ; qui sait si cette incomparable beauté ne lui servira pas à trouver un bon mari ? Șa mère était moins