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LA MISÈRE

275 sommes malheureux. Et vous dites que ma fille… Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! il ne nous manquait plus que ça !… Et puis cette Lize ! oh ! c’est trop tout de même c’est trop ! Magdeleine était debout, mais elle ne bougeait pas ; ses jambes étaient de plomb. En vain Clara Bussoni on a bien deviné que c’était elle en vain Clara cherchait à l’entraîner quand la porte s’ouvrit violemment et Angèle, la petite Lize étroitement serrée contre sa poitrine, les mains crispées sur le petit cadavre qu’elle retenait de toute la force instinctive de son amour, doublé par la surexcitation de son désespoir, Angèle les vêtements en désordre, le visage livide, les cheveux épars, vint tomber aux pieds de sa mère. XLII UN INTERROGATOIRE Jacques Brodard avait déjà subi plusieurs interrogatoires, dans lesquels naturellement, il avait nié avec la plus grande énergie, le meurtre qu’on lui imputait. Il alléguait n’avoir eu aucune raison de commettre un tel crime. Sa droiture native éloignait de lui jusqu’à la pensée que Rousserand pût être l’auteur du malheur d’Angèle. Un patron qui avait été un camarade ! Allons donc, il se serait regardé comme le dernier des hommes s’il avait pu concevoir un tel soupçon. Ces dénégations si franches avaient paru au juge d’instruction le comble de l’habileté et de la scélératesse. Pour chercher à mettre Brodard en contradiction avec lui-même, à s’enferrer, il lui avait laissé croire à la mort de M. Rousserand. Naturellement, ce petit subterfuge n’avait produit aucun effet sur Brodard. Il s’agissait pour lui d’établir un alibi, c’est-à-dire de prouver qu’il n’était pas à Paris le jour du meurtre. Ce meurtre avait eu lieu le 30 mars, dans l’après-midi et Brodard était arrivé le matin du 31. C’était bien simple, mais qui pouvait en témoigner ? Le vieil Henri ? Il était l’oncle de l’accusé, son témoignage n’était pas valable. Restaient les dénégations de Brodard ; mais quelle valeur avaient-elles, quand, à force de tourner et de retourner lå question, le juge avait fini par embrouiller l’ouvrier, dont le cerveau ébranlé par tant de secousses violentes, vacillait dans la précisation des dates. Et puis, il y avait la lettre adressée à Rousserand, lettre post-datée par erreur et qui faisait foi contre Brodard. Le malheureux rapatrié était toujours au secret. Il passait les longues heures de sa captivité dans une sorte d’effarement douloureux, tantôt en proie au plus profond découragement, tantôt agité du plus violent désespoir. Parfois, il avait peur de devenir fou et, pour en finir, pour qu’on lui laissât voir sa femme et ses enfants, il lui prenait des envies de dire tout ce qu’on vou- draît.