Page:Michel - La misère.pdf/304

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
304
LA MISÈRE

804

consolée, à ravoir un peu de force pour essayer de chercher de l’ouvrage. A travers les bouleversements de sa pauvre âme, elle songeait à ce monsieur Préval qu’elle avait rencontré sur l’escalier de Me Régine et qui lui avait donné son adresse en lui promettant du travail. S’il tenait sa parole aussi bien que le peintre ce serait là une ressource. Comme elle aurait eu du courage à travailler, si elle avait eu encore sa petito Lize ! Épuisée de larmes, Angèle avait fini par s’endormir. Alors Clara Bussonni se sentant inutile au pauvre ménage, se retira non sans avoir été remerciée mille fois de Magdeleine et baisée par les petites, qui sentaient en elle une amie de la maison. Comme Angèle, Clara, la plus honnête, la plus chaste des filles, avait été mise en CARTE. Mais qu’y pouvait-elle ? A qui se plaindre pour obtenir la réparation d’une injustice si criante ? A quel tribunal les pauvres gens peuvent-ils recourir contre les abus de pouvoir ?  ?  ?… Aux journaux ? – Mais ceux qui osent signaler à la vindicte publique, les magistrats prévaricateurs, sont criblés d’amendes, suspendus, supprimés, ruinés ! Clara le savait bien. D’ailleurs elle ne connaissait personne dans la presse. Et puis, ne valait-il pas mieux cacher à tout le monde la tache qui était tombée sur elle. Cette honte lui était venue sans quelle sût ni pourquoi ni comment. Si elle était désolée, humiliée, l’honnête Clara, il ne faut pas le demander. Pourtant, au fond de tout, elle espérait qu’on n’EN saurait rien et que cela ne l’empêcherait pas de gagner sa vie comme par le passé. Elle était une des meilleures ouvrières de Me Régine, on ne la renverrait pas pour quelques jours d’absence. D’autres avaient fait de plus longues fugues sans être remerciées. Voilà ce que pensait Clara Bussonni en se rendant à la maison où elle avait une chambrette sous les toits. La portière était de ses amies et de son pays. Toutes deux étaient venues d’Alsace, après la guerre de mil huit cent soixante et onze. Toutes deux avec cet esprit de conduite, cette sobriété qui caractérisent les Alsaciens, avaient trouvé à vivre honnêtement là où tant d’autres femmes sont obligées de mourir de faim ou de se prostituer. Clara n’avait pas osé raconter à sa compatriote, la cruelle et honteuse mésaventure qui lui était arrivée. Elle avait mis son absence sur le compte du travail. La portière ne s’était doutée de rien. Quelle ne fut pas la surprise de la pauvre ouvrière, lorsqu’elle se vit repousser de la loge par son ancienne amie, qui lui dit, en la laissant sur le pas de la porte : — Voici, votre conché, mademoiselle, les filles gomme fous sont indignes d’hapiter une maisson honnête. »