Page:Michel - La misère.pdf/307

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
307
LA MISÈRE

307 commençait bien, pour elle, qui comptait reprendre le lendemain le cours ordinaire de sa vie de travail. Pourtant, la jeune fille ne douta pas d’abord de trouver une autre chambre sous les toits. Mon Dieu ! elle n’était pas difficile, elle prendrait ce qui se présenterait. Tout lui était égal à présent ; un atelier pour travailler, un trou pour dormir, voilà ce qu’il lui fallait, pour oublier son atroce mésaventure. Dans cette pensée, elle écrivit une lettre informant Mme Régine qu’une affaire imprévue la forçait de ne rentrer à l’atelier que le mercredi suivant. Elle priait humblement la patronne de lui conserver sa place. La lettre cachetée avec un peu de mie de pain, aplatie avec le fond d’un dé à coudre et mise à la poste, l’ouvrière se coucha sans souper, bien inquiète du lendemain et se proposant de se lever à la première heure pour aller à la recherche d’un logement. Hélas ! que cette recherche fut pénible ! Clara la commença presque avec le jour, d’abord dans son quartier, puis autour, puis plus loin. Elle ne trouvait rien, on ne voulait d’elle nulle part. Comment donc, une fille seule ! On ne loue pas à des femmes autre chose que des appartements. Celle qui a les moyens de payer n’importe comment, est respectable aux yeux des propriétaires. Clara fit le tour de Paris, tantôt à pied, tantôt en omnibus. Elle ne découvrit pas un pauvre trou où l’on voulût d’elle, pour son argent. Dans Paris, la capitale du monde, une immensité que l’ouvrier embellit de son art, enrichit de son travail, féconde de son activité, il y a peu de place pour lui, mais il n’y en a pas du tout pour sa sœur quand elle est seule et honnête ; l’isolement est un crime pour l’abandonné. O logique ! ô morale ! Là où la courtisane occupe des palais, l’humble travailleuse n’a d’autre asile que le garni louche des barrières. Et Clara devait déménager le lendemain. Où mettre ses meubles auxquels elle tenait tant ? Que faire ? Implorer Suzel ? Mais la jeune ouvrière connaissait trop bien l’entêtement de sa compatriote, pour espérer de la faire revenir sur son compte. Quand une idée s’est plantée dans une cervelle étroite, il n’est pas facile de l’en faire sortir et Suzel, bon cœur, mais esprit borné, avait l’obstination de la bêtise vertueuse. Et puis, Clara allait-elle s’abaisser devant la seule personne qui aurait dû, la connaissant si bien se porter garante de son honnêteté ? Elle passa vite devant la loge sans y regarder. Suzel en sortit et lui remit sans rien dire, mais avec des larmes dans les yeux, une carte postale dont sans doute elle avait iu la teneur : << Inutile de vous représenter au Lys de la Vallée. Il n’a plus de place pour une

  • gourgandine de votre espèce. Votre compte est chez le portier. » >