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LA MISÈRE

À la vérité, elle avait encore trois rouleaux à parcourir. Elle avait bien envie de les lire et de se rendre ensuite chez M. de Saint-Cyrgue, mais pour rester dans sa chambre, il fallait continuer à feindre une indisposition. Et, feignant cette indisposition, elle ne pouvait sortir.

Au reste, dans l’état de trouble où était la maison, elle aurait eu mauvaise grâce d’être malade. Il y a des instants où, suivant les circonstances, un malaise est une faute.

Mlle de Méria prit donc le parti de se bien porter et de remplir aupré de Valérie ses fonctions d’institutrice.

Elle écrivit au révérend Davys-Rolh qu’elle l’attendait dans l’après-midi ; puis elle s’habilla lentement, avec soin, se regardant dans la glace et constatant avec plaisir que la fatigue l’avait un peu pâlie.

Elle trouva que cela lui allait bien. Encore une nuit passée sans sommeil et ce serait au mieux pour intéresser M. de Saint-Cyrgue.

On gratta à la porte de la chambre. Me de Méria courut ouvrir.

Audard, le valet de chambre de M. Rousserand, entra en mettant un doigt sur sa bouche, comme pour indiquer un silence prudent à l’institutrice.

« -> Que voulez-vous ? » demanda-t-elle tout haut sans tenir compte des airs mystérieux du messager.

Les éventualités imposaient à Mue de Méria un redoublement de prudence. Si l’affaire des millions allait réussir, il lui importait que personne ne connût ses visées d’hier.

Le valet prit l’attitude d’un confident de comédie et se rapprocha.

« — Que voulez-vous ? » répéta l’institutrice en se reculant avec hauteur. « Si vous êtes chargé de m’apprendre quelque chose, dites-le simplement.

— Je viens de la part de monsieur…

— Pour ?

— Prier mademoiselle de se rendre auprès de lui.

— Très bien ; comment se porte-t-il ?

— Il est beaucoup mieux.

— J’en suis bien aise. Dites-lui que je n’ai pas le temps, que je suis occupée avec sa fille ; que je lui fais mes compliments.

Ceļa fut dit d’un ton sec qui n’admettait pas de répliques, mais pouvait pro- voquer des commentaires.

— Tiens tiens ! tiens ! se dit le valet, voilà du nouveau. Je croyais que la demoiselle ne visait que les écus ; aurait-elle eu la bêtise de se laisser brûler au feu qu’elle a allumé. Ce serait drôle.

« — Eh bien qu’attendez-vous ? » demanda Mo de Méria.

— Une autre réponse. Il est impossible que mademoiselle n’en ait pas une autre à faire à M. Rousserand. Avant de parler à madame, il a quelque chose à demander à mademoiselle.

— Avant de parler à madame ?… Ne lui a-t-il pas encore parlé, depuis l’accident ?

— Non, mademoiselle.