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LA MISÈRE

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pée pour son âge. Jusque-là cet impérieux besoin d’aimer, qui fait passer tant de rêves charmants dans le cerveau des jeunes filles, ne s’était traduit que par quelques vagues soupirs donnés à son cousin Maxis et quelques œillades coquettes décochées de temps en temps au joli petit marquis de Bergonne dont le courage l’avait frappée, le jour où elle l’avait vu risquer sa vie à côté d’Artona. Mais dans ce passe-temps du cœur, qui se repaît du parfum avant de goûter le fruit, la jeune fille n’avait fait qu’obéir à l’instinct qui jette en pâture à l’imagination le premier objet venu. > << Dans cette phase, la femme se trompe elle-même et revêt du trésor de ses rêves celui qui commence à donner un sens connu aux vagues aspirations du printemps de sa vie. » > • Le premier qui offre son cœur est toujours celui qu’on attendait, celui qu’elle dote des mille perfections souhaitées dans l’époux. > « Point n’est besoin qu’il soit beau, qu’il ait des qualités ; il a tous les charmes, toutes les vertus de celle qu’il fait rêver. > « < Dans la première fumée d’amour, une seule chose est indispensable, il faut que l’homme reste chastement enveloppé de nuage et de mystère ; qu’il soupire loin de l’objet aimé ; que de temps en temps on l’entrevoie dans les perspectives nébuleuses où l’illusion devient facile. Dans sa seconde phase, l’amour le fera descendre de son piédestal ou l’y maintiendra suivant qu’il s’éloignera ou se rapprochera de l’idéal créé par la femme qui l’aime ; suivant, surtout, qu’aucun point de comparaison ne pourra être établi entre lui et un plus parfait. » « < Mais si, par hasard, ce voile tissé d’illusions vient à être emporté par le cavalier qui passe, par le rêveur solitaire, par celui qui entre sous le toit comme une divinité bienfaisante, adieu l’objet des chastes premières amours ! Le voici celui que attendais ! le fiancé de mon cœur ! » Et il se trouve que l’autre n’était qu’une étoile crépusculaire annonçant le lever du soleil. > « Valentine s’était habituée à l’encens d’affection qu’elle recevait chaque jour du jeune marquis. Elle avait même quelquefois cru à une certaine réciprocité de sentiments, mais cette croyance n’avait en rien altéré sa quiétude ordinaire. Ce n’était pas pour lui qu’elle avait senti ce trouble sans nom et plein de charmes que l’amour verse à son heure dans l’organisation humaine, comme le printemps jette l’inquiétude dans la sève qui fait pleurer la branche avant de la fleurir. » « Entre ELLE et LUI l’harmonie physique n’existait pas, et la loi des contrastes ne recevait son application que de la part du marquis. »

  • Valentine était femme dans toute l’acception du mot, mais ignorante jusqu’à

la candeur, se laissant aller aux impulsions de l’âme, aux sensations tumultueuses, dont cette période de la vie ouvre la marche. En un mot, elle était prête pour l’amour. » << Artona, entrevu d’abord dans des circonstances dramatiques, apparaissant une seconde fois sous les traits d’un sauveur, frappa la jeune fille. Cette brillante personnification de la jeunesse et de la beauté virile, lui causa une sorte de commotion à laquelle les événements du matin ajoutèrent de délicieuses vibrations. » « La pâle figure du marquis de Bergonne disparut entièrement derrière celle