Page:Michel - La misère.pdf/378

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
378
LA MISÈRE

378

« La nuit, parfois, je me levais, affolée de larmes, je courais dans la partie << inhabitée du château, je t’appelais de toutes les puissances de mon être. Devant « ton image, toujours présente à ma pensée, je m’agenouillai mille fois pour te « demander grâce. »

  • Ce fut dans ces dispositions que je reçus de Mathieu la lettre qui m’annonçait

« ta maladie. Sans perdre une minute et sans prendre conseil de mon père, craignant qu’il ne s’opposât à mon départ, je partis pour Venise, où je te trouvai << mourant. >> «  « Je te soignai de mon mieux, passant les nuits à ton chevet, épiant tes « < moindres désirs, recueillant tes moindres paroles. Tu ne t’en souviens pas. Tu « < étais dans ton délire, tu avais oublié mon offense, tu me prodiguais les trésors « < de ta tendresse ! » > « Un instant j’entrevis le pardon ! C’était un songe ! Tu sais ce que fut le « réveil ? Revenu à toi, tu te souvins et tu me maudis ! tu te souvins, et tu me < chassas ! » « Je m’en allais par la ville, par cette ville étrangère, où je ne connaissais « personne. Je m’assis au bord de la mer, dont les vagues battaient la rive, et, « le regard perdu dans la mystérieuse immensité du flot, j’enviais, pour mon en «  fant et pour moi, le suaire que tant de malheureux ont trouvé dans ses plis « mouvants. >> << Hélas ! je ne pouvais, je ne devais pas mourir en une fois ; pour expier, il fal<< lait vivre en cette agonie de l’âme que l’on appelle le remords. »

  • Ce fut là qu’un matin, après une nuit d’angoisses et de souffrances sans nom,

« Mathieu me trouva. Il m’emmena dans un hôtel, où notre fils vint au « < monde. >> « Pauvre enfant ! le premier baptême qu’il reçut en entrant dans la vie, fut « < celui des larmes de sa mère ! Je le pris dans mes bras, je le serrai sur mon « cœur et je t’appelai ; je t’appelai à grands cris pour te dire que c’était ton « fils ! » << Oh ! si tu étais venu en ce moment, tu aurais bien vu que je ne mentais pas ; « tu m’aurais crue, et sans me pardonner, tu aurais pu reconnaître ton “ enfant. > « Le marquis cacha sa tête dans ses mains : > « — Mon enfant mon enfant ! cria-t-il, je ne l’ai jamais embrassé ; l’aveugle instinct de la colère et de la haine ont étouffé la voix du sang. La malédiction retombe sur celui qui la donne. Je suis maudit ! J’ai chassé mon fils ! Je l’ai envoyé mourir loin de sa mère ! Oh ! c’est affreux ! Valentine ! Valentine ! » « Il se remit à lire : « Oui, je le reconnais, j’ai détruit ton bonheur, ta foi ! J’ai arraché à ton âme « l’aile qui la portait au-dessus des intérêts vulgaires ; je t’ai empêché d’être « grand, d’être un des bienfaiteurs de l’humanité, mais aussi j’ai bien souffert : tout le bien que tu n’as pas fait est retombé en cascade de fiel sur mon « < cœur. > « Le souvenir des gens de Saint-Bernard est devenu le supplice de mes