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LA MISÈRE

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Pas avant que tu m’aies rendu le billet de mille francs que tu m’as volé, mauvais roussin, pas avant que ton compère m’ait rendu le manuscrit qui appartient à M. de Saint-Cyrgue. Il se tourna vers le vieillard que la figure piteuse de ses convives et les agissements du nouveau venu bouleversaient. Ces hommes que vous qualifiez de vicomte, d’amis et de parents sont de la police… Le savez-vous, monsieur de Saint-Cyrgue ? Comment, le comte de Méria ? le vicomte d’Espaillac ? — Eux, des comtes ! des vicomtes ! Tout au plus des chevaliers d’industrie. Ce sont des escrocs, des gens de basse police, vous dis-je. J’en fournirai la preuve. Vous vous trompez, mon ami, il est impossible… Il y a erreur. Erreur ?… Oui, de votre part, monsieur de Saint-Cyrgue. Tenez, regardezmoi ces visages de plâtre… et dites-moi si ça ressemble à des honnêtes gens. Mais protestez donc, cria le vieillard, constatant avec une profonde surprise la pâleur de ses hôtes ; protestez donc. Entendez-vous les accusations de M. Léon-Paul contre vous ? Dites-lui qu’il ment. — Pourquoi protester contre les paroles d’un insensé ? demanda Hector en s’efforçant de paraître calme. « Je n’ai jamais vu ce malheureux. Pour ce qui regarde mon affiliation à la police, l’accusation est trop bouffonne pour que J’essaye d’y répondre. Je regarderais comme un outrage d’être obligé de m’expliquer là-dessus. >> Monsieur Léon-Paul, vous entendez ce que dit M. de Méria ? · Parfaitement. Si ces messieurs sont ce que vous dites, ils ne refuseront pas de laisser visiter leurs poches. Je parie que nous y trouverons une carte d’agent de la police secrète. «  · Vous voyez bien que cet homme n’a pas sa raison, mon cousin, dit Hector, qui, ayant oublié sa crise de nerfs, arpentait fiévreusement le salon. Il sort de Bicêtre. Permettez-moi d’appeler des sergents de ville pour l’y reconduire et nous en débarrasser. » Et le noble comte s’avançait vers Léon-Paul, l’œil sanglant, la bouche contractée, les mains frémissantes. Léon-Paul l’attendait, les poings en avant. «  — Tu es bien heureux, vil coquin, » lui dit-il, « d’être défendu par la présence de M. de Saint-Cyrgue, sans cela tu sentirais, une seconde fois, la pesanteur de ma main sur ton visage. » Se tournant vers le maître de la maison, il ajouta : «  Si j’ai menti, je veux être puni comme diffamateur, et si l’on ne trouve pas sur ces deux coquins, qui m’ont arrêté, une carte d’agent, je consens à être enfermé comme fou. » > Mais sous quel prétexte vous auraient-ils arrêté ? Léon-Paul voulut raconter la scène des bords du canal. Les deux complices, sentant le danger d’une telle révélation, coupèrent la parole au balayeur, de leurs protestations indignées.