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LA MISÈRE

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Le monde du commerce s’éveillait, les boutiques s’entre-bâillaient. Des ouvriers en blouse blanche la pipe à la bouche, sortaient de chez le mastroquet pour se rendre au travail. Les marchands ambulants descendaient le faubourg Montmartre, poussant devant eux leurs charrettes vides du côté des Halles. Angèle s’arrêtait pour voir les annonces. Mais, toujours il y avait ceci ou cela qui l’arrêtait. Enfin une de ces annonces, écrite en pattes de mouches, lui donna confiance. Il y avait là de grosses fautes d’orthographe qui la rassuraient : < On demande des ouvriair au cegon. » Angèle, nous l’avons dit, avait été à l’école. Elle était intelligente et n’y avait pas tout à fait perdu son temps. Sans doute, elle n’était rien moins que savante. mais, cependant, elle avait gagné quelque chose à l’enseignement routinier et mécanique auquel on avait soumis sa raison. A force d’entendre épeler, elle avait appris ce qu’on appelle l’orthographe d’usage, c’est à dire toutes les complications inutiles de notre langue, soigneusement conservées par l’Académie, dont le rôle, comme celui de tous les pouvoirs en France, semble se borner au maintien de certains abus. Angèle leva les yeux sur l’étage où, indubitablement, elle allait avoir du travail. D’après l’annonce, elle se figurait une entrepreneuse qui ne serait pas difficile. Elle vit un balcon garni de lierre et de quelques plantes à feuillage persistant ; puis, une haute enseigne sur laquelle une jeune fille en blanc, raide comme une poupée de Nuremberg, représentait une mariée. Au-dessus, en grosses capitales, était écrit : Au-dessous : AU LYS DANS LA VALLÉE Madame Régine. Puis venait une explication en lettres jaunes : < COSTUMES POUR MARIAGE ET AUTRES CÉRÉMONIES. ▸ Tout ça gâtait bien un peu la première impression d’Angèle. Mais bah ! On pouvait voir… le second, ce n’était pas bien haut. Elle entra, tâchant de passer inaperçue devant la loge. Mais sur les premières marches, ses souliers commencèrent à faire un bruit de savates qui attira l’attention du portier. — Où allez-vous ? cria le redoutable gardien.