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LA MISÈRE

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agent des mœurs il faisait son trou là-dedans, tout naturellement, comme un ver dans la pourriture. Ah ! je n’ai pas perdu de temps ! dit Grenuche. Brodard le voyait bien ! Le nouvel agent continua : Je ne suis pas méchant ; je veux t’avertir : nous sommes chargés de te surveiller, Jean-Étienne et moi. Me surveiller ? A propos de quoi ? — Tu dois le savoir mieux que moi… Ils se séparèrent après que Brodard eut promis d’aller prendre des renseignements à la préfecture au sujet des enfants. Je t’y conduirai, dit Grenuche, ça me procurera une bonne note. En attendant va en paix comme un ratichon ou un curieux pris en flagrant délit. Ils convinrent d’un rendez-vous pour le lendemain. Brodard voulait retrouver ses enfants à tout prix. LII ENCORE LA MARCHANDE DE MOURON Brodard avait promis à la marchande de mouron de lui porter des nouvelles ; il voulait aussi lui demander conseil. Cette femme avait des vues droites qui lui étaient sympathiques. Du passage l’Écuyer-Montmartre à la rue de la Glacière, entre la rue de Lourcine et le boulevard des Gobelins il y a loin ! Mais Brodard en était à cette époque héroïque de la vie de chaque individu, où quelque circonstance extraordinaire fait monter l’être humain à son apogée. Les peuples, comme les hommes, ont de ces époques. Brodard sentait cette puissance qui fait marcher le corps épuisé, comme le cheval s’élance enveloppé par le coup de fouet. La volonté le galvanisait. Il arriva vers onze heures rue de la Glacière ; la vieille l’attendait. Elle n’était plus seule, un gros chien mouton, noir comme le barbet de Faust, se reposait dans un coin, les yeux grand ouverts, suivant tous les mouvements de sa maîtresse ! le museau allongé sur ses pattes, Toto songeait. Quand Brodard entra, le chien leva la tête, l’observa pendant quelques instants et reprit sa première position. 11 pouvait évidemment le laisser s’approcher de sa maîtresse sans craindre qu’il lui fît du mal. La vieille le remarqua. Voyez-vous ? dit-elle, je ne me trompais pas sur votre compte ; vous êtes un brave homme ; Toto est de mon avis. Il est vraiment infaillible, Toto ! contrairement aux hommes. Mais, dites-moi vite ce que vous avez découvert ? Hélas ! ma pauvre dame, rien ! absolument rien, on ne les connaît pas, au passage l’Écuyer.