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LA MISÈRE

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Quoi qu’il en soit, elle ne voulait ni rester dans cette chambre, ni passer un second jour dans la maison. La nuit devenait profonde. Avec une légèreté et une adresse de clown, Claire se glissa dans les ténèbres jusqu’à la porte de sortie, dont l’énorme serrure sans clé l’avait frappée. Elle avait tiré les rideaux du lit, comme si elle y eut été couchée ; rien, au premier aspect, ne pouvait avertir de sa fuite. En se cachant derrière un gros arbre, à l’entrée de la chapelle, afin de prendre le temps de réfléchir, Claire se heurta contre un objet, qu’elle eût donné tout au monde pour rencontrer et qui simplifiait son évasion. L’ouvrier, qui réparait la toiture de la chapelle, avait, malgré défense formelle, laissé là son échelle pour la trouver le lendemain. Un million d’autres n’auraient pas eu cette chance ! c’était un secours providentiel, pensait Claire, et elle se reprochait de penser si peu à cette providence, qui eût cependant été bien plus coupable de tendre ce guet-apens la pauvrette, que généreuse, de lui envoyer une échelle ! Mais les divinités ont des façons d’agir si excentriques. A leur âge, c’est permis. Une fois blottie derrière son arbre, Claire se demanda pour la millième fois, si elle ne s’était pas follement effarouchée pour quelques lignes, dont l’auteur avait si bien compté sur le hasard que cela frisait la mystification. Le sommeil d’enfants malades n’avait rien que de très naturel. Les cris de Rose s’expliquaient par sa folie. Le lit pouvait venir de l’infirmerie, mais ce concours de circonstances était effrayant. Tout à coup, Claire entendit quelque chose ; un pas léger s’approchait dans le silence de la nuit ; elle retint son souffle, le pas venait de son côté. La visiteuse nocturne, car au nuage de gaze blanche floconnant dans la nuit, on reconnaissait une femme, entra dans la maison, se rendit compte peut-être que le mécanisme avait joué, et, en sortant, ferma la porte à double tour. C’était Me Helmina en costume de soirée. On pouvait voir dans l’ombre le passage de sa robe comme on eût vu flotter un nuage. Devant cette réalité les doutes de Claire revinrent encore. Au moment de fuir la sainte maison, elle se demandait si ce qu’elle avait vu était suffisant, pour expliquer et justifier sa conduite aux yeux de son oncle. S’il allait douter ? et, si je me trompais, se disait-elle ; si j’allais porter une fausse accusation ! peut-être Mme Helmina a eu affaire avec des jeunes filles légères, elles les enfermait pour les empêcher de sortir seule. Je veux voir, pensait-elle, il faut que je sois sûre ! Et légère comme un souffle, se couvrant d’arbre en arbre de l’ombre épaisse des troncs, l’audacieuse enfant suivit Helmina. Larobe de Claire était noire, elle arriva sans être vue jusqu’à la porte du pavillon. Là, une conversation s’engagea entre Mme de Saint-Stéphane et un homme que la jeune fille ne voyait pas.