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LA MISÈRE

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Une fois encore Helmina sortit, tout le monde se taisait ; en rentrant, elle dit aux deux femmes : Suivez-moi. Elle les conduisit dans un petit cabinet attenant à la classe ; Sophie y était assise, le regard perdu, les lèvres entr’ouvertes et violettes, le visage livide. Ah ! madame, s’écria la mère Nicole, voilà qu’elle est mourante ! Angèle regardait sa sœur sans dire une parole. Je vous avais prévenues, dit froidement Mme Helmina. Angèle prit la petite dans ses bras et, suivie de la mère Nicole, sortit de la maison, tandis que Mme Helmina rentrait dans le salon. De Méria, moins habile que sa complice, ne pouvait dissimuler son inquiétude. Comment va l’enfant ? demanda-t-il. --Le voyage lui sera fatal, répondit Helmina. Le silence se fit de nouveau, interrompu par le miaulement plaintif du chat réfugié dans le bosquet. Mme Helmina, ne voulant pas laisser les parents sous une triste impression, fit venir l’institutrice et les enfants, à qui quelques tasses de café noir avaient donné momentanément un peu de vie ; Blanche Marcel fit de la musique, quelques jeunes filles chantèrent de leurs voix alanguies ; il y eut un goûter, et quand vint l’heure du départ, toutes les mères avaient oublié l’impresion du départ de Sophie. De Méria, inquiet, autant qu’Helmina paraissait tranquille, s’approcha d’elle et lui demanda s’ils n’avaient rien à craindre de la petite Sophie. On eut dit qu’il rampait devant cette femme. Elle le regarda sans rien dire, suivant sa coutume, ne voulant ni le prendre pour confident de son dernier crime, ni lui laisser croire qu’elle était au-dessous de lui. Le chat continuait ses gémissements. Vous devriez, dit-elle, aller chasser cette bête, je n’y puis envoyer les domestiques. A son tour de Méria ne répondit pas ; il lui semblait, pour le moins, inutile qu’on le vit de ce côté. Vous connaissiez cette petite drôlesse de tantôt ? demanda Helmina. Le mot drôlesse parut étrange à de Méria dans la bouche de cette femme ; il ne se souvenait plus qu’il était à son niveau. Qui n’a pas, dit-il, quelques mauvaises connaissances ! La mère Nicole et Angèle, ayant déposé la petite malade dans un fiacre, se firent conduire au passage l’Écuyer. Le grand air fit sur Sophie une vive impression, alors il arriva tout le contraire de ce qu’avait prévu Mme Helmina. Une crise violente saisit la petite, des vomissements terribles la délivrèrent du poison qui lui avait été administré. La victime de l’infâme de Méria n’eût-elle pas été plus heureuse de s’endormir pour toujours.