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LA MISÈRE

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Mon oncle est juste et bon. – Votre oncle, ma pauvre enfant, soutiendra contre vous, l’intérêt de l’Église. Ces gens que vous accusez font profession de sainteté ; ils doivent être couverts à cause du scandale. Claire sentait que le petit vagabond connaissait mieux qu’elle la gent infaillible ; du haut de sa désillusion, il lui montrait la situation sous son véritable jour. Pendant cette conversation, les plus jeunes avaient dressé le couvert sur une grosse pierre ; des poissons grillés en faisaient les frais. Ces Robinsons des catacombes, avaient, en l’honneur de Claire, déployé tout un luxe de vieilles serviettes, reste de la boutique de leur mère, et de tasses romaines trouvées dans les cryptes. Quoique la société fut pour eux une marâtre, ils avaient sauvé plus infortunée qu’eux encore. On reprit la conversation abandonnée, les deux aînés, Philippe et André, les coudes appuyés sur leurs genoux, songeaient ; les deux petits, leurs cheveux effarouchés comme de jeunes alouettes, leurs joues rouges et gonflées, se tenaient graves comme des vieillards ; vêtus comme d’autres enfants, on les eut admirés ; sous leurs guenilles, personne n’y avait jamais fait attention. Eux, les mioches, gâtés comme les plus riches, eux dont le nom n’existait encore qu’à l’état de caresse, Popol et Totor ; aimaient déjà beaucoup cette jeune fille, assise à la place de Marthe et vêtue d’une de ses robes. A votre place, dit Philippe, j’écrirais à l’oncle, mais je resterais ici en sécurité, vos ennemis sont trop puissants pour que vous espériez quelque chose. Rassurez-le à votre sujet ; racontez lui tout ; mais dans cette affaire entre vous et des dévots, craignez de tomber, même aux mains de votre oncle. Non, dit Claire, je ne veux pas douter ainsi de mon cher vieux oncle, qui est si bon pour moi. Ce serait l’offenser que de penser ainsi. Afin de la distraire, les deux plus âgés lui firent parcourir des salles où ils avaient rangé les objets trouvés dans leurs fouilles, ils en faisaient parfois. Un antiquaire eut regardé leur musée comme un trésor ; ils eussent pu vendre leurs trouvailles ; mais il aurait fallu pour cela livrer le secret de la retraite et ils en auraient encore besoin pour de longs jours. Là pouvait s’écouler paisible l’enfance des deux petits ; là dormait du grand sommeil, leur sœur bien aimée ; ils montrèrent à Claire dans l’une des grandes salles la tombe de Berthe ; des bouquets de fleurs des champs s’y fanaient tous les étés. Emue de l’affection et du respect qu’elle rencontrait chez ces abandonnés, Claire dit à Philippe : Dieu vous bénira pour le bien que vous me faites — Dieu, dit-il s’il existait, avec la toute-puissance qu’on lui prête, ce serait le plus abominable des malfaiteurs puisqu’il laisserait commettre tous les crimes, pouvant les empêcher. Claire ne répondit pas, ses idées se renversaient. Le lendemain, la fièvre qui la soutenait étant tout a fait tombée, Claire se trouva dans un état de faiblesse, tel que les enfants pouvaient à peine lui sou-