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LA MISÈRE

549 En arrivant rue de la Chance-Midi, deux hommes l’attendaient malgré l’heure avancée : Trompe-l’œil et Sansblair. Brodard reconnut le monstre de la brasserie. — Voilà, dit Trompe-l’œil, un ancien qui te cherche depuis longtemps Brodard s’assit près d’eux, fort perplexe du personnage qu’il allait avoir à jouer. Il pressentait une des affaires dont lui parlait toujours Trompe-l’œil. Tant mieux, pensait-il, j’aurai enfin une certitude. Il aurait dû l’avoir depuis longtemps ! mais Brodard était lent à comprendre ces choses-là. — Voilà trois jours que je te cherche, dit Sansblair. — Ah ! fit Brodard. Comme tu dis ça ! Monsieur est devenu fier ! — Le bagne, dit Brodard, ça rend drôle ! faut pas faire attention ! — Est ce que tu rechignes à la butte (tu crains l’échafaud) ? Non, dit Brodard. La feuille de chou (bonnet vert) t’a enrhumé, hein ! — Non ! * -Qu’est-ce que tu as à craindre du reste ? Rien ! Cette manière de répondre étonnait Sansblair et Trompe-l’oeib T’as eu de la chance d’en défourailler ! — Oui. As-tu fini de répondre par demi-mots. Allons, ne vous fâchez pas, expliquez-moi ce que vous voulez. — Monsieur nous donne audience ! pu que ça de genre ! on voit bien que t’as émargé dans les fonds de l’État. Mince ! quand on vient de ses terres, et qu’on va peut-être y retourner, monsieur le comte du grand pré ! Parlant de ce ton goguenard, Sansblair tira de sa poche un paquet de journaux tout gras, le dernier neuf. Alors, devant Brodard étonné, il commença à lire les articles relatifs au cadavre trouvé dans une carrière des environs de Paris. D’abord la découverte du corps, celle du bâton de colporteur, avec un cuir pour l’attacher au poignet ; comment ce bâton, auquel adhéraient encore des cheveux blancs, avait été reconnu par le patron d’une crémerie pour l’avoir vu entre les mains d’un homme de forte apparence, accompagné d’un petit vieillard. Tous deux avaient pris du café noir, c’était le vieux qui payait ; il paraissait avoir une bourse bien garnie. A force de retourner le bâton, on a découvert que la pomme se dévisse ; il y avait dans cette pomme un vieux papier sur lequel on a pu déchiffrer : Maison Nigel, rue Montmartre, 182, reçu de Mat… mois… la somme de cent francs pour marchandises.. Nigel a disparu, mais on le trouve encore, après la tasse de la crémerie, attablé avec un autre individu, chez un marchand de vin de la rue du Temple.