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LA MISÈRE

557 Te voilà chef de la famille, je compte sur toi comme sur moi-même ! Et tu peux y compter, dit simplement André ; ils s’embrassèrent. Claire se sépara des trois enfants avec autant de serrement de cœur que s’ils eussent été ses frères, et confiante au dévouement de Philippe, elle s’engagea avec lui dans le couloir. Par endroits, ce couloir était étroit, par d’autres, si effondré qu’il y fallait ramper, après, on débouchait dans des salles spacieuses. Philippe portait la lanterne sourde, sans laquelle ils eussent été perdus ; il reconnaissait les issues que lui-même avait marquées. Cet enfant était un homme intelligent et énergique. Dans l’une des salles, étaient trois squelettes encore couverts de lambeaux de vêtements, des explorateurs et leur guide, sans doute. Deux avaient de riches habits ; l’humidité avait respecté les larges revers d’une étoffe moitié bois moitié or, comme en portèrent quelques élégants ; un peu avant la révolution de 89, Louis XVI avait eu le même vêtement venant des îles. Le guide, couvert d’une blouse de laine, était mort en cherchant sur le sol la lanterne qu’il avait perdue ; combien de jours la chercha-t-il ? Or, la lanterne était à trois pas de lui, l’ouverture qu’elle lui eut fait connaître, était plus près encore. Il était courbé vers la terre, le squelette avait pris son aplomb ainsi. Les enfants n’avaient point dérangé ces ossements, représentant un drame lugubre. La curieuse Claire eut l’idée de fouiller dans la poche d’un des squelettes, vêtus en merveilleux ; un papier moisi y était resté, on y pouvait lire encore : « Mon cher Anatole, « Je t’attends ce soir à six heures, pour le spectacle ; on joue Hermione. Sois exact, je n’aime pas à attendre. » Le reste était effacé, à part la signature : Marguerite. Elle avait attendu longtemps, Mme Marguerite. Claire remit la lettre dans la poche du squelette et s’enfonça avec Philippe dans les conduits souterrains. Ils parlaient, ces deux enfants, avec la désillusion de ceux qui ont de bonne heure les leçons de choses de la destinée. La route fut longue ; ils ne sortirent dans les bois de Clamart que vers une heure du matin, par un temps clair ; les murs blancs du fort d’Issy se dressaient à l’horizon, plus blancs encore sous les rayons lunaires. La forêt avait un aspect féerique. Ils longèrent le cimetière, la gare, et par le chemin creux où, en 1871, tant d’obus tombèrent sur les haies en fleurs, ils descendirent au village d’Issy, à peu près devant le séminaire. Là, des murs à n’en plus finir ! après le séminaire, un autre mur, celui d’un grand parc, appartenant, je crois, au collège.