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LA MISÈRE

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La vieille joignait les mains : Jésus Dieu ! à une pareille heure par le froid qu’il rait, que peut donc être venue dire cette demoiselle ? pour le sûr c’est une sorcière ! L’abbé Marcel insista avec tant d’impatience qu’elle prépara tout en gémissant le sac de voyage ; il le prit et marchant droit comme s’il n’eut eu que vingt ans, il ferma la porte sur Mme Trottier qui gémissait et sur le chien qui hurlait, et s’en alla rapide comme le vent, pâle comme un mort, jusqu’à l’auberge toujours close ; las de frapper, il appela. La voix de l’abbé attira l’aubergiste. Qui est là ? demanda-t-il du haut d’une lucarne. vient. C’est moi

!

Vous, monsieur le curé, ce n’est pas possible, c’est votre fantôme qui reMon fantôme, imbécile ! s’écria Marcel impatienté, allons, ouvre vite, prépare ta voiture pour me conduire à Épinal, il faut que je prenne le chemin de fer. Moi conduire un fantôme ! Vous êtes déjà venu tout à l’heure en femme, non, non et comme la mère Trottier il faisait signe de croix sur signe de croix. Cette circonstance qu’une femme était venue frappa l’abbé ! Annah était décidément un esprit malin, il se trouva soulagé, sans doute la.vision infernale, une fois disparue, ne laisserait aucune trace, tout ce qu’elle avait annoncé était mensonge. Cependant l’aubergiste n’ouvrait pas, et il n’aurait pas ouvert si le vieux Dareck, le doyen de la famille, n’eût traversé le village, revenant de la forêt un paquet d’herbe. avec Cette famille n’avait jamais perdu l’habitude d’aller cueillir le sélago au clair de lune malgré toutes les fulminations de l’abbé Marcel. Le père Dareck s’approcha, étonné de rencontrer le vieux prêtre à pareille heure, le voyant et grelottant il apostropha l’aubergiste. Eh ! là haut descendras-tu ou je monte. — Mais tâtez-le donc, dit l’aubergiste, tâtez-le ! que je sache s’il est en chair et en os. En quoi veux-tu qu’il soit ? animal, et le vieux Dareck de son poing de géant ébranlait la porte. L’hôtelier descendit et de frayeur laissa tomber sa lanterne. L’abbé Marcel avait l’air d’un déterré, il fallut bien des explications pour décider le paysan à conduire dans sa carriole jusqu’à Épinal un homme qui avait pareil visage. Les ayant vu monter en voiture, le père Dareck, son sélago enveloppé dans sa blouse, reprit le chemin du caër Derouën. On prétendait qu’avec cette herbe, ils vivaient dans cette famille-là cent ans pour le moins. En arrivant à Paris, l’abbé Marcel courut chez le révérend Davys-Roth, la lumière des saints. Le courage lui avait manqué pour aller jusqu’à Saint-Lazare savoir à quoi s’en tenir, sur sa nièce, et il voulait demander conseil.