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LA MISÈRE

59 ce qu’elle venait de lire était une imagination de sa cervelle malade. Mais non ! Tout était vrai, puisqu’elle souffrait tant. Angèle se traîna jusquà l’omnibus qui va de Montmartre à la barrière. Saint-Jacques. Instinctivement, elle retournait au logis, chez sa mère. Pourquoi ? Elle n’en savait rien. Elle voulait revoir sa maison, ses petites sœurs. Elle voulait savoir qui avait fait le coup. Était-ce son père ? Était-ce Auguste qui l’avait vengée ? Son père ! ah ! qu’allait-elle lui dire ? Comment paraître devant lui avec l’enfant dans les bras. Mais s’il était revenu pour tuer M. Rousserand, il savait donc ?… C’était à se jeter la tête contre les murs. Pauvre père ! Elle qui avait tant désiré le revoir ! Quelle arrivée ! La nuit était venue, l’omnibus roulait avec un bruit agaçant sur le pavé des rues, Angèle regardait les boutiques, pleines de lumière, passer devant ses yeux. Dans sa tête, tout était de plus en plus sombre et les images désolées des siens y passaient en formes spectrales. Un instant la peur la saisit plus fort en songeant que si elle allait chez ses parents, elle aggraverait peut-être le sort de son père ou de son frère. Si on l’arrêtait ? Alors il lui faudrait tout dir devant la justice et l’on verrait bien que l’un des deux était l’assassin. Tant qu’ils n’étaient pas pris, elle devait se cacher elle-même. Mais où ? Dans la chambre d’Olympe ? Nicolas pouvait y venir et cet homme, qui se disait son ami avait une mauvaise figure. Les questions d’Amélie lui semblaient louches. Elle se défiait. Irait-elle dans un garni quelconque ? mais là, Angèle le savait bien, il faut donner son nom et la police… cette odieuse police qui sait tout, la forcerait de venir témoigner contre son père. . Non, ce n’était pas là qu’il fallait aller. Eh ! mais, qu’elle était folle ! Et l’asile de nuit ?… Juste, la voiture passait devant. XV L’ASILE DE NUIT Quand Angèle y entra, il y avait foule à l’asile de nuit. C’était l’heure où l’administration distribue la soupe aux réfugiées. Un demi-bec de gaz, descendant du plafond dans la grande salle d’attente, faisait sortir de l’ombre une soixantaine de têtes pâles. Il y avait là des mères de familles, chassées de leur pauvre logis par les propriétaires, des jeunes filles en haillons, maigres, flêtries, sorties on ne sait d’où ; des femmes âgées tombées sous le fardeau de la vie et ramassées dans la rue. On faisait cercle autour d’une marchande de mouron.