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LA MISÈRE

595 La gouvernante se retira comme avaient fait les paysans ; le visage amaigri de Claire, ses yeux brillants de fièvre, n’étaient pas faits pour démentir l’assertion de son oncle. Dès lors commença un douloureux supplice : Claire fut installée dans sa chambre dont les volets étaient fermés au dehors et dont la porte avait un tour de clef. · Elle n’est pas en état d’être vue, disait-il, et lui seul la faisait un peu sortir dans le jardin desséché par l’hiver, ou s’asseoir quelques heures, en face de lui, près du foyer. Naguère elle emplissait de joie toute la maison : tout était fini. Pourtant au fond, elle reprenait courage. la pauvre Claire ; elle avait échappé déjà à de si rudes aventures, qu’elle mûrissait, malgré toute son affection pour son oncle, le projet de s’enfuir à l’étranger, de là peut-être elle pourrait adresser un appel aux parents des pauvres petites victimes. Personne ne mettait en doute la folie de Claire Marcel ; on disait bien que le vieil oncle, un peu fier de sa nièce, l’avait sans doute fait étudier outre mesure, mais c’était tout, on les plaignait tous deux, sans s’informer davantage. Mme Trottier trouvait que, pour une insensée, Claire était bien paisible ; mais s’il y avait eu espoir de guérison, l’oncle eût fait venir des médecins. L’abbé Marcel parlait peu à Claire et, glacée par cette froideur, elle n’osait elle-même lui adresser une parole ; c’était là sa plus grande douleur. Un soir il entra contre son ordinaire dans la chambre de la jeune fille après qu’il l’eût fait sortir suivant son habitude. Claire, mon enfant, dit-il, viens me parler. Étonnée, heureuse, elle se jeta à son cou, laissant couler ses larmes. Écoute, Claire, dit-il, si tu veux que je t’aime comme autrefois. copie et signe ceci, vois-tu, j’ai trop souffert depuis quelque temps, je sens qu’il me reste peu de jours à vivre et je voudrais qu’il te fût possible de rester après moi, tu es si jeune, ma pauvre enfant. Il avait en parlant tiré de sa poche un papier, en forme de lettre. Tu n’as qu’à copier ceci, à le signer et nous l’enverrons ; à cette condition tu peux me survivre. Claire lut ce qui suit : << Madame, A MADAME HELMINA DE SAINT-STÉPHANE « Ma raison étant revenue, je viens vous demander pardon des monstrueux

  • mensonges de mon délire et déclarer, en même temps, que je n’ai jamais rien vu

« que de louable à la maison de convalescence de Notre-Dame-de-la-Bonne-Garde. « J’ai l’honneur de m’adresser, pour rendre cette déclaration plus formelle, • au vénérable père Davys-Roth, s’il veut bien y consentir. Votre respectueuse servante, « Claire MARCEL. »