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LA MISÈRE

603 Dans un vieux petit château que papa a acheté tout exprès pour moi. Mademoiselle de Méria dit que c’est très joli, il y a des tourelles. Quelques larmes tombèrent des yeux d’Alice. Tu vois bien que je suis plus malheureuse que toi, dit Valérie ; tu me plains. Nous sommes des enfants, dit Alice ; il faut du courage. Elles sortirent de la grotte. Deux hommes qui traversaient, leur tournant le dos, laissèrent échapper ces paroles étranges : Ce titre m’appartient en toute propriété ; je l’ai payé deux mille francs à Trompe-l’œil. Je ne lui savais pas ce talent. Il devrait être médaillé pour l’exactitude avec laquelle il travaille, Dogier s’y tromperait. Ce gros homme qui se redressait avec importance, comme si tous les crachats et tous les cordons qu’il méritait au visage et autour du cou eussent été sur sa poitrine, c’était Nicolas, vicomte d’Espailhac, l’autre c’était de Méria. Ces paroles semblèrent pour le moins étranges à Valérie. M. Rousserand buvait des yeux un gros homme dont on ne voyait qu’un œil, l’autre était caché comme une moitié du visage ; c’était un étranger de distinction, d’un incontestable talent musical, qui était venu tout simplement féliciter son ami de Méria, en sortant de chez son consul dont il disait être l’intime ami. Il se prétendait issu d’une famille de doges et se fit annoncer sous le nom de comte Faliéro. De Méria reçut assez froidement le comte Faliéro, mais celui-ci lui ayant dit quelques mots à voix basse, il dut le présenter à M. Rousserand dont le Vénitien avait fait la conquête en lui promettant l’ordre du lion de Saint-Marc. Le feu d’artifice était presque terminé lorsque le comte d’Espailhac dut également présenter une dame étrangère qui ne s’était pas fait annoncer, mais qui était venue le retrouver dans les jardins, afin, dit-il, d’être présentée à la mariée. Cette grande dame exotique, de manières si dépourvues des coutumes françaises, se nommait Amelia de Santa-Clara. Que ces étrangers ont mauvais genre, disait une vieille dame, en regardant Amelia qui parlait bas au comte d’Espailhac. Le fait est qu’elle paraissait très familière, cette noble personne, en murmurant à l’oreille du comte : Tu viens ici pour arracher du chiendent (chercher pratique), mais tu te trompes, mon bonhomme, je te veille de près.

Le vicomte d’Espailhac jugea prudent de suivre Amelia de Santa-Clara, et tous deux d’un commun accord procédèrent chez elle à la scène scandaleuse qu’elle n’avait osé faire chez Rousserand. Une autre fois, dit-elle, je me ferai annoncer comtesse d’Espailhac. Parfois Nicolas avait envie de la jeter à l’eau.