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LA MISÈRE

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Au fond, elle pensait : si je suis pauvre, du moins, mon père ne me jettera pas comme une proie, à quelque de Méria, qui me ferait peur. Hélas ! Valérie avait aussi peur de son mari que l’eût eue à sa place la petite Alice, pourtant elle essayait de l’aimer, la pauvrette. Elle se confessait de cet éloignement au père Davys-Roth, qui la voyant un jour toute baignée de larmes, en eut presque pitié : Il est fâcheux, se dit-il, que l’intérêt de l’église m’ait forcé à avoir tant de bontés pour le frère de Blanche. Mais qu’y faire ? on n’a pas le temps de s’apitoyer sur le sort des agneaux. Ne naissent-ils pas pour tendre la gorge ? c’est la loi commune. Une visite fort désagréable à de Méria c’était celle de Nicolas, de plus en plus emblasonné dans son titre de vicomte d’Espailhac. Se trouvant comme chez lui chez son ancien ami, il se permettait une foule de choses sur lesquelles de Méria devait passer sans rien dire, il semblait être condamné à boire toute la fange qu’il avait soulevée autour de lui. Les assiduités de Nicolas chez de Méria épouvantaient presque autant le misérable que celles de Sansblair chez son beau-père. Un soir que le vicomte d’Espailhac se trouvait appuyé sur le piano, près de Valérie qui chantait, Hector le surprit parlant à voix basse, il ne put rien saisir des paroles, mais Valérie rougit beaucoup. Un autre soir, le vicomte d’Espailhac s’approcha si près de Valérie que les cheveux de la jeune femme effleurèrent son visage ; elle se recula vivement ; de. Méria sentit la jalousie s’emparer de lui ; il aimait la petite chenille, comme il disait autrefois. Nicolas, ne semblait s’apercevoir, ni du trouble de Valérie, ni de la jalousie d’Hector ; il venait de plus en plus souvent, affectait des airs de grand seigneur dont de Méria ne riait plus et devenait d’une élégance inouïe qui lui allait de plus en plus mal. Nicolas était bien laid ! mais Valérie n’aimait pas son mari ; qui sait ce que contient de faiblesse, le cœur de la femme qui a été ainsi livrée, par la manie de titres ou de richesse des parents ? Et au milieu de ces inquiétudes poignantes la rage prenait à de Méria de se faire une vie honnête, il lui semblait à cette pensée entendre rire autour de lui comme des spectres les orgies de sa vie passée ; toutes ces choses horribles le poursuivaient pareilles à des meutes hurlant à ses oreilles. Une catastrophe le surprit dans cet état : Rousserand fut trouvé un matin le crâne brisé comme une noix, à la façon de l’homme de la carrière et de l’homme de la berge ; cette manière-là, c’était une signature. Or, comme depuis sa visite à la morgue, Sansblair était filé ; on mit la main sur le noble étranger, et il fut conservé en prison tandis que l’affaire s’instruisait. On ne trouva chez Sansblair aucun des objets volés chez Rousserand. C’était tout simple, Trompe-l’œil n’était-il pas là ? De Méria et Nicolas eussent pu seuls mettre sur les traces comme on dit, mais