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LA MISÈRE

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Trois ou quatre jours après les arrestations, on apporta à de Méria une lettre dont l’écriture lui donna le vertige. La suscription était très respectueuse (à Monsieur le comte de Méria, en son château des Tourelles, près Paris) ; mais l’intérieur était loin d’y répondre il y avait : • Mon cher ami, Cellule n° 15, prison de Mazas. « Je ne sais pourquoi on m’accuse de la mort de ton beau-père à qui j’étais très dévoué, je ne sais pas pourquoi non plus tous mes amis m’abandonnent, toi et Nicolas compris. « < Envoie-moi un peu d’argent. 1 << Ton ami, « < GABRIEL dit Sansblair. De Méria éperdu se promenait dans le salon, cherchant comment il sortirait de là ; il savait que toutes les lettres des prisonniers sont lues au greffe ; il était donc compromis. Dans son trouble, il laissa tomber la lettre et ne put la retrouver, ce fut M™ Rousserand, qui, ayant marché sur le fatal papier, le lut machinalement et poussa un cri d’épouvante. Que t’arrive-t-il, maman ? demanda Valérie, se levant de son lit et accourant. Rien, ma fille, dit la pauvre femme, en serrant la lettre dans sa poche, j’ai fait une chute. Me Rousserand alla trouver son gendre dans son cabinet aussitôt que Valérie fut endormie. Il était entouré de tout un arsenal bondieusard, des brochures peintes, éparses avec des numéros du journal le Pain, et l’Écho du ciel, des gravures pieuses, un christ et autres bibelots sacrés. C’était la première fois que M. Rousserand entrait dans cet endroit, de Méria, tout en s’empressant devant elle, sentait la terreur le couvrir comme d’un manteau. Me Rousserand alla de suite au fait : vous êtes l’ami de l’assassin de M. Rousserand. vous ne disiez pas, monsieur, que Je ne sais ce que vous voulez dire, madame. Ne niez pas, dit Me Rousserand, j’en possède la preuve écrite. — Ah ! c’est cette lettre, dit de Méria, rappelant toute son audace, c’est l’œuvre d’un fou et si j’y eusse attaché de l’importance je ne l’aurais pas jetée. Il était si calme que M Rousserand se demandait si elle n’avait point eu tort. S’apercevant de cette impression il la détruisit en voulant l’achever.