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LA MISÈRE

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La chose parut toute naturelle ; si bien que Sansblair recommença une autre missive ainsi conçue :

  • A MONSIEUR LE COMTE DE MÉRIA

« Mon cher ami, « Mazas, cellule no 15. « < Je te remercie de ce que tu m’as envoyé, mais il m’en faut le double, « Ton ami, « GABRIEL, dit Sameblair. » d La lettre fit l’effet d’un second coup de foudre chez de Méria — i commençait à se sentir rassuré, de ce côté, pour souffrir de l’autre, des assiduités de Nicolas près de sa femme. Valérie évoluait visiblement vers le vicomte ; elle se trouvait dans la disposition de ces prisonniers qui s’attachent, dans le vide du cachot, à une araignée ou à une souris. — Nicolas commençait à être l’araignée de Valérie, dans la plus terrible des prisons, un mariage mauvais ! Il s’en apercevait parfaitement, le rusé mouchard, aussi ne voulait-il pas brusquer la solution. Si Valérie eût vu où elle allait, elle serait infaillibleinent retournée en arrière ! la crainte de la faute eût même été favorable à de Méria. Il fallait que la jeune femme descendit la pente, sans s’en douter et tombât par surprise, comme un pauvre agneau qu’elle était. De Méria commençait à détester Nicolas. Quant à celui-ci, tout en éprouvant deux grandes satisfactions : contenter un caprice et tromper un ami, il n’en voulait point à de Méria. Me Rousserand avait quitté sa fille aussitôt que l’état de santé de Valérie le lui avait permis, mais elle venait chaque semaine, s’informait près de la pauvre enfant s’il ne lui était point survenu d’ennuis, et retournait dans la demeure ignorée et solitaire où elle cherchait à se consoler par la lecture des ouvrages chers à son père. Elle y joignait d’autres livres plus modernes, si bien que la pauvre femme ayant plus d’esprit que de bon sens, plus de cœur que d’intelligence, se bourra la tête de doctrines au lieu de se convaincre par les faits mêmes. Du matin au soir, et souvent du soir au matin, elle étudiait, compulsait, cherchait à s’étourdir sur ses chagrins et y parvenait en effet. Mais elle allait vers la folie. Mme Rousserand ne savait ni comparer ni analyser ; elle était comme bien d’autres. Quand de Méria reçut la lettre de Sansblair, le mouvement fébrile qui lui échappa frappa le vicomte d’Espaillac. C’est encore de ce misérable ? dit-il.