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LA MISÈRE

651 Où conduisiez-vous cette jeune fille ? Chez son oncle. Cette réponse ne fut point relevée ; il avait été défendu aux juges de parler de Claire par respect pour la mémoire de l’abbé Marcel, et le président venait de s’apercevoir qu’il avait posé une question imprudente. Il reprit : Où sont vos parents ? Mon père a été fusillé en 71, ma mère est morte de misère. Comment viviez-vous ? Je pêchais et je vendais du poisson ; je faisais des courses pour les marchandes des halles. -Ce ne sont pas là des métiers. Je n’ai pas eu le moyen d’en apprendre d’autres. Avez-vous des frères et des sœurs ? Je ne puis répondre à cette question. Où demeurez-vous ? Où je pouvais, comme tant d’autres qui ne peuvent payer un loyer. Le réquisitoire fut terrible. Ce fils d’insurgé, qui se permettait d’avoir des secrets pour ses juges et frappait les agents, avait déjà l’insolence et l’audace révolutionnaires ; il y avait en lui du nihiliste et il était temps de l’arrêter, si on ne voulait pas qu’il arrêtât les autres ! Ce jeu de mots, prononcé en souriant, eut du succès parmi quelques belles-petites de l’auditoire. Elles savent trop, ces dames, que leurs messieurs et elles, auraient fini de choquer les coupes et de mêler dans leurs pots de vins l’or au sang des nations, si le rêve des révolutionnaires s’accomplissait. Le vieux docteur, quoiqu’il n’y eut jamais eu pour lui d’autre question que la science, se demandait comment peuvent faire pour vivre des gens qui n’ont pas cu le moyen d’apprendre un état, à cette époque où tant d’ouvriers habiles euxmêmes meurent de faim. Je ne veux point influencer le jugement de MM. les jurés, continua le procureur de la République. Mais il est de toute nécessité que de pareils garnements soient renfermés jusqu’à leur majorité, puisqu’on ne peut davantage. — Il n’y a pas moyen du reste de faire autrement, à moins qu’on ne reconnaisse les lois mauvaises. Un mouvement imperceptible se fit entre les jurés mait en froissant la dignité éveillait la conscience. I.e président se leva de nouveau. l’ordre qu’on leur intiAccusé, dit-il, avez-vous quelque parent qui vous réclame ? Philippe sourit comme si on lui demanda t la lune. Personne, dit-il. Une voix s’éleva de l’auditoire. Je réclame ce jeune homme. Si le réclamant, dit encore le président, ne remplit pas les conditions requises pour répondre, la cour n’y pourra faire droit.