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LA MISÈRE

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Oui, dit Trompe-l’œil. A demain, dit Nicolas. Il sortit avec de Méria. Trompe l’œil referma la porte avec une barre de fer, et, mû par une sorte de pitié, il prépara pour Sansblair un souper délicat. Sa lanterne sourde d’un côté, un panier plein de vivres de l’autre, il monta l’escalier. A peine fût-il dans la première pièce que, dans la cloison, s’ouvrit une large ouverture par laquelle se précipita Sansblair. Il avait fait usage de sa scie. En une seconde Trompe-l’œil fut terrassé. Ce n’est pas toi que j’aurais voulu, dit le misérable, mais, faute de l’un on prend l’autre. Il lui serrait la gorge de ses deux mains. Trompe-l’œil se sentit perdu ; il essaya de mordre, mais sa mâchoire était maintenue par l’étranglement du cou. Ah ! vous vouliez me fourlourer (m’assassiner) ; c’est toi qui vas payer pour les autres aujourd’hui, je vais t’érailler (te tuer) ; mais ils ne perdront rien pour attendre. Trompe-l’œil râlait. Comme au commencement tu ne voulais pas m’escarper (me tuer) je t’aurais laissé, mais je n’ai que toi et puis la fin a tout gâté ; j’écoutais, va. « Si j’avais le bâton je te ferais comme aux autres, mais je vais t’étrangle. comme la première, la jeune fille que j’ai tuée dans les champs ; plus il y en aura moins j’aurai peur. Trompe-l’œil ne l’entendait plus, il était mort. Sansblair l’emporta dans la cellule, puis, prenant la lanterne, il souleva tranquillement le plancher où Trompe-l’œil avait enfoui la montre et les bijoux volés chez Rousserand et les éparpilla autour du cadavre. Il ne voulait rien emporter qui le fit reconnaître ; il chercha seulement l’argent, les trente-quatre mille francs n’étaient pas encore placés, il les découvrit en liasse de billets de banque dans le matelas de Trompe-l’œil, mit un autre costume que celui qu’il portait et chercha longtemps dans une caisse pleine de déguisements sans doute à l’usage de la police et des voleurs et qu’il connaissait à ce double titre. Quant au papier signé de Méria, Nicolas et Nigel quoiqu’il fût compromettant pour lui, il le cacha dans la doublure de son gilet. Placé devant une glace, Sansblair s’adapta un masque qu’il enduisit de charbon et une perruque noire dont les cheveux lui tombaient sur le front à la manière des paysans. Avec son visage charbonné et son vêtement de velours à côté on eût dit un honnête Auvergnat. -C’est bon pour la nuit, se dit-il. Il allait sortir quand un bâton frappa ses regards. Ce serait dommage, dit-il, de ne pas signer ce cadavre de manière à épouvanter tout Paris. Et il remonta donner à Trompe-l’œil le fameux coup de la noix. Puis, ayant pris les faux papiers toujours prêts chez Trompe-l’œil, il s’en alla la nuit.