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LA MISÈRE

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venirs de 71, vint à l’esprit de Nicolas ; elle lui parut bonne comme tout ce qui est stupide. Brodard avait évolué en courage, Nicolas, déjà si infâme, évoluait en infamie : la bête de proie devenait parfaite. Derrière lui, comme une couleuvre, grâce à la nuit, se glissa Amélie, elle le vit à son grand étonnement se diriger du côté des écuries et faire mettre les chevaux à la voiture. Où faut-il vous conduire, monsieur. Je conduis moi-même, mon brave, c’est ainsi arrangé entre mon ami de Méria et moi. Le calme de Nicolas eût obtenu la confiance du cocher, si cet ami de la maison ne l’eût pas eue déjà toute entière, il y avait lieu de s’étonner, mais qui donc pouvait suspecter monsieur le vicomte d’Espailhac ? un aussi saint homme et un si bon ami, n’était-il pas comme chez lui chez le comte de Méria ? les domestiques étaient accoutumés à lui obéir. Amélie, sentant redoubler sa fureur jalouse, résolut d’accompagner Nicolas ; elle était habile, la nuit couvrait ses mouvements, elle pourrait prendre derrière la voiture la place du laquais. L’entreprise était hardie et il lui fallut des prodiges d’adresse pour ne point être vue du cocher qui tenait les chevaux, attendant le retour de Nicolas. Mais Amélie était résolue, elle réussit. Le vicomte d’Espailhac demanda à parler à M. de Méria au nom de Mme Rousserand. Il parut étrange à Valérie que sa mère prît pour messager M. d’Espailhac qu’elle n’aimait pas ; de plus, il l’avait effrayée, cette impression durait encore, mais il ne lui vint pas à la pensée que Nicolas la trompait. Valérie vint couverte d’un long peignoir, elle venait de se déshabiller. Madame, dit Nicolas, et sa voix tremblait tellement qu’il avait peine à se faire entendre, madame votre mère veut vous voir immédiatement ; je suis chargé, en cas d’absence de M. de Méria, de vous conduire moi-même près d’elle, si vous le voulez bien cependant ; il m’est défendu d’emmener aucun de vos gens. Le visage décomposé de Nicolas, son trouble, son émotion, persuadèrent la malheureuse enfant. — Quel malheur est arrivé ? demanda-t-elle. Je l’ignore, madame, j’accomplis ce qui m’a été demandé, voilà tout. Je vous suis, dit Valérie, attendez-moi quelques instants. Il ne pensait vraiment pas qu’elle fût si facile à tromper. Comme elle était passée dans sa chambre pour se vêtir plus convenablement, Nicolas mit le temps à profit, en allant où il savait que de Méria avait placé le reste de la dot. Il ouvrit le secret du coffret qui la contenait et chargea de nouveau le sac de cuir qu’il dissimulait sous son manteau. Lorsque Valérie eut terminé sa rapide toilette, les domestiques étonnés virent la jeune madame de Méria monter dans la voiture, fort påle et paraissant inquiète. Comme elle l’avait résolu, Amélie sauta en laquais derrière, et Nicolas fit