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LA MISÈRE

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Celui-ci, de son côté, l’avait vu venir de loin ; sûr qu’il n’avait affaire qu’à un seul homme, il marcha résolument, au-devant du paysan et le prit au collet. Nicolas était d’une force prodigieuse. L’homme surpris laissa tomber sa lanterne. Silence, dit Nicolas, je suis armé ! Si vous me donnez immédiatement vos ´ vêtements, vous aurez en échange les miens qui sont beaux et neufs, à part quelques acrocs, et de plus quatre-vingts francs. Si vous refusez je vous étrangle. Ah ! c’est vous qui êtes l’homme de ce matin ? dit le paysan. Le pauvre diable, à l’inverse des chasseurs de la matinée, ne désirait pas du tout rencontrer celui qu’on avait poursuivi, et c’était sur lui que tombait la chance. Oui, dit Nicolas, c’est moi qui suis l’homme de ce matin. M’as-tu entendu ? obéis-tu ? — Il le faut bien, répondit le paysan, et il se mit en devoir de se déshabiller, espérant s’enfuir aussitôt qu’il aurait les quatre-vingts francs, encore assez à temps pour faire prendre l’homme. Mais il avait affaire à forte partie. Nicolas mit comme une griffe de bête fauve sa main sur l’épaule du paysan. Tandis que celui-ci se déshabillait, le policier se demandait comment il allait faire pour l’amarrer quelque part jusqu’à ce qu’il ait eu le temps de prendre de l’avance. Une idée lui vint le paysan avait un mouchoir de poche tout neuf, fort grand, comme on les porte à la campagne, et une cravate de coton également grande et forte. Nicolas trouva moyen de les nouer de biais, angle à angle. La corde était trouvée ! le paysan, toujours espérant fuir et sentant toujours sur son épaule la lourde main de Nicolas, achevait de se déshabiller. – Maintenant, dit le policier lui prenant tout à coup les deux poignets, quand vous vous serez revêtu de mes habits, et détaché, vous irez prévenir les gendarmes

!

Tenant d’une seule main les deux mains du paysan vaincu, de l’autre il attira à lui une branche flexible, l’y attacha solidement par les deux poignets et laissa aller la branche. Le pauvre homme avait ainsi les bras levés, de façon à être longtemps avant de se détacher, s’il était très habile, et à attendre qu’on le détachât s’il ne l’était pas. Mettant par terre ses vêtements et y joignant honnêtement les quatre-vingts francs, Nicolas revêtit ceux du paysan et, chargé de la petite sacoche de cuir qu’il n’abandonnait pas dans les plus terribles perplexités, il s’éloigna rapidement, suivant cette fois la route la plus large. C’est ainsi qu’il arriva à une gare au moment où l’on criait : Les voyageurs pour Dieppe changent de wagon ! Quel fut l’étonnement de Nicolas en reconnaissant parmi les voyageurs Mm. Helmina, comme lui sans bagages, avec une petite valise. Il sauta dans un wagon de Dieppe, quoique son billet portât Bruxelles.