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LA MISÈRE

coup des forces nouvelles, s’élança vers sa mère, les mains jointes en lui criant :

« Embrasse-moi encore une fois, embrasse-moi ! pardonne-moi ! »

— Mais ne t’émotionne donc pas comme ça, dit doucement la mère en la caressant d’un regard de ses bons yeux, tout noyés de larmes ; tu sais bien qu’avant tout, je suis ta mère. Aie confiance en moi. Quand nous serons seules, nous aurons un entretien. Si tu es coupable, je te pardonne d’avance, si tu ne l’es pas, oh ! alors, ma fille, je t’aimerai davantage, si c’est possible.

Elle s’en alla, non sans avoir encore une fois essuyé de ses lèvres les pleurs d’Angèle. Demeurée seule, la jeune fille courut à la fenêtre, l’ouvrit et se pencha dehors pour voir sa mère et ses sœurs.

Mme Brodard et ses enfants formaient dans la brume un groupe indécis. À mesure qu’elles s’éloignaient, il semblait à Angèle qu’elle ne voyait plus que leurs fantômes.

— Adieu, maman ! adieu ! cria la pauvre fille, quand elles eurent disparu au coin de la rue Croulebarbe, adieu, Sophie adieu, ma petite Louise !

C’est fini, je ne vous verrai plus !

Elle venait de prendre une grande résolution.

Toute frissonnante, Angèle se laissa tomber sur une chaise, les yeux noyés, sans songer à fermer la fenêtre, par laquelle entrait un brouillard glacé qui la pénétrait jusqu’aux os, mais elle ne le sentait pas. Dans sa pauvre tête endolorie roulait quelque chose de si énorme qu’en dehors de ça elle ne voyait, elle ne sentait plus rien. Il s’agissait pour elle de s’en aller ou de rester.

Si elle s’en allait — et elle y était bien résolue, — où irait-elle ? Si elle restait, que de malheurs en viendraient peut-être ! De ce fait, qui paraissait si simple, une misère atroce pouvait fondre sur ceux qu’elle aimait tant. Il ne fallait pas que quelqu’un des siens la retrouvât au logis. Elle ne pouvait, elle ne devait pas répondre aux questions que lui ferait sa mère. Non, mais que deviendrait-elle, dans ce vaste monde si rempli de méchants ?

Et, dans sa sagesse de quinze ans, mais avec cette maturité que donne le malheur, la petite Angèle cherchait, avec mille déchirements, à travers toutes les obscurités de sa conscience, toutes les difficultés de sa position, où était le devoir.

Si elle s’en allait, elle pouvait mourir de misère. Et… elle n’était pas seule… Eh bien, qu’est-ce que cela faisait ? ne valait-il pas mieux que ce fût elle et l’autre ? « Si je reste ici », se disait la jeune fille, « qui sait si la souffrance, si la haine, si les supplications de ma mère ne m’arracheraient pas le secret de mon malheur. Allons, du courage, il le faut ! »

Angèle se leva, prit dans un tiroir un cahier de papier écolier, en arracha une feuille et se mit à écrire la lettre suivante :

« Chère maman,

Je ne sais pas si je suis coupable de te quitter, mais j’ai cru bien faire en vous débarrassant de moi.

Tu as deviné comme je suis et tu as failli en mourir ; pourtant, au lieu de