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LA MISÈRE

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Enfin, dit la comtesse, m’expliquerez-vous cette scène ? Elle tremblait et se donnait un air imposant. Voilà, ma belle ! mais c’est chouette ici !… tu as un chic mobilier ! Elle regardait de tous côtés sans s’émouvoir. Mais je ne vous connais pas ! je ne vous connais pas ! répétait Olympe. Allons, c’est de la blague ! tu me connais bien ; est-ce que je t’empêche d’être comtesse, moi aussi je l’ai été de temps en temps, la comtesse Amélie ! hein ! Olympe se trouvait mal. Pâle, ses bras frappant l’air, elle s’abattit. — Voilà un bel ouvrage ! murmurait Amélie. Qu’est-ce que je lui disais pour qu’elle s’esclafât ainsi ? Je me suis pourtant exprimée bien convenablement. Elle la prit dans ses bras, la déposa sur une chaise longue et à force de soins la fit revenir. Voyons, disait-elle, ma chère, je te demande pardon ; j’ai passé un mois ou deux chez une dame dont j’avais sauvé la fille ; je te raconterai cela ! et puis, en allant faire une course à Paris, on m’a reprise. Ce monstre de Nicolas a toujours oublié de me faire rayer. J’ai passé quinze jours à Saint-Lazare. C’est Mme Rousserand, l’amie chez qui j’étais, qui m’a fait sortir et qui m’a donné des certificats pour me placer. J’ai de l’argent, mais je ne veux pas rester seule, ça m’ennuie ! Comme elle s’en va à l’étranger avec sa fille, moi ça ne m’a pas plu, j’aime Paris. Amélie débitait cela avec volubilité, en inondant Olympe, de toutes les eaux de senteur qui lui tombaient sous la main. Alors, craignant de retourner dans les prisons, j’ai voulu me placer ; on m’a parlé d’une vieille comtesse, toute seule, et je suis venue. A ces mots de vieille comtesse, Olympe poussa des cris perçants auxquels accourut Rosa. Mais que lui dites-vous done ? demanda-t-elle à Amélie. Moi, rien, ce sont des affaires de famille ! Rosa sourit, elle avait tout entendu. Olympe, passant tout à coup de la crise de larmes à la crise de rire, éclata de nouveau. La glace était rompue ! les deux anciennes amies s’embrassèrent. Ce fut un incroyable débordement de plaintes contre Nicolas d’un côté, contre de Méria de l’autre. Amélie avait été trompée par ce misérable Nicolas, mais elle lui gardait quelque chose pour le jour où il lui plairait de rentrer ! Elle en savait long sur lui ! Enfin il ne finirait pas sa vie sans être démasqué comme il le fallait ! Amélie, se grisant de ses paroles, racontait comment elle parlerait aux juges, sans faire attention aux yeux et aux oreilles de Rosa. Ce n’était pas la première fois qu’elle entendait une foule de choses ! Mais il était rare qu’elles fussent dites dans un langage aussi imagé que celui d’Amélie. Olympe, avait complètement oublié son rôle de comtesse ; la grande fille au cerveau étroit et au cœur généreux avait surtout besoin d’affection ; une ancienne compagne était pour elle, le premier moment de vanité passé, un véritable bonheur.