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LA MISÈRE

741 Il y avait une légende sur cette maison. On disait qu’à cette époque Me Odille, femme de M. Ledoux, bourreau de monseigneur l’évêque de Paris, s’en servait pour composer des philtres fort goûtés des belles dames et des gentils cavaliers. A l’instant où nous la montrons au lecteur, la sinistre bâtisse appartenait à Davys-Roth, ce que chacun ignorait et devait ignorer, longtemps encore. Personne ne l’habitait, du moins ostensiblement ; on n’y voyait jamais de lumière. On n’y entendait jamais de bruit. Nul parmi les habitants de la rue du Fer-à-Moulin n’en avait vu la porte ouverte. C’était tout simple, on n’y entrait pas par la porte, mais par un conduit souterrain aboutissant, d’un côté, aux cáves de Davys-Roth, de l’autre, aux caves de la maison de Mme la bourelle Odille, comme on disait. C’était à cause de cette communication, que Davys-Roth avait acheté d’un juif trafiquant de terrains, cette propriété qu’il lorgnait depuis longues années ; sans mettre qui que ce soit dans le secret du passage qu’il avait découvert. Le jour, où il devint propriétaire de la maison de Mm. Odille, fut pour Davys-Roth un triomphe dont il jouit dans son intérieur comme il avait coutume de jouir ou de souffrir. Quelle fête se donnèrent ce jour-là ses intincts de grand inquisiteur et de druide ! Depuis longues années, il gardait le secret de cette cache où étaient entassés des monceaux d’or à mettre au service de ses projets, des armes de toutes sortes, de la poudre, des munitions de guerre et même, comme il était de son époque pour la destruction, des tonnes de pétrole, de la dynamite et de la nitro-glycérine, de quoi faire sauter dix villes, des déguisements de quoi travestir l’univers. Une pharmacie fort singulière, c’était l’arsenal secret du père pour sa guerre sacrée ; en vieillissant il s’y attachait chaque jour davantage. On eût dit, à l’y voir errer, l’ombre de Nicolas Flamel logée dans ce nid de spectres pour assister à une époque où les alchimistes sont en poussière. Lui non plus, le terrible Davys-Roth, n’était pas du monde des vivants ; ses pairs s’en étaient allés avec la flamme des bûchers. Le repaire du prêtre était tout en souterrains dont il fallait connaître le secret pour supposer qu’il existât autre chose dans la mâsure que la vieille entrée, pareille aux portes des cathédrales gothiques, et les trois ou quatre vastes pièces où des bibliothèques pieuses, des paquets de charpie et de linge donnaient le change sur la destination de l’immeuble. Peut-être, n’y devait-on faire jamais de perquisitions ; cependant DavysRoth trouvait convenable de s’assurer pour ce cas. L’obligation, dans laquelle il se trouvait, pour conserver son secret, de ne jamais pénétrer dans la maison par l’entrée ordinaire, eût attiré les regards de la police si elle n’avait la coutume de les fermer sur les faits et gestes de certaines gens.