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LA MISÈRE

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— De cette manière, se disait la vieille, le cabinet noir laissera passer le mot pour voir la longue lettre, et Brodard, qui ne m’a pas l’air de savoir ce qui se passe, s’abstiendra d’écrire des choses imprudentes, ce qui pourrait arriver. A quelques jours de là, Clara Bussoni, qui continuait, avec Toto, le commerce des fleurs et du mouron, vit venir à elle, au nez de trois ou quatre agents, un peu las de l’observer, un petit garçon déguenillé, vivace et actif comme un écureuil. L’enfant courait si fort, qu’il tomba le nez au milieu des bouquets, qu’il renversa en même temps ; tandis qu’elle l’aidait à se relever, le petit lui glissa dans la main un papier roulé et s’enfuit. Clara n’osa ouvrir la main que rentrée chez Mme Grégoire, tandis que cette dernière appuyait son dos à la serrure où pouvait se trouver l’œil d’un policier. Voici ce qu’elles lurent : « Je suis sauvé. Écrivez-moi ce qui s’est passé, et faites-le remettre adroitement, par votre ami Jacques, au vieux qui lui demandera si on vend du bouillon à son hôtel. Pendant que la mauvaise chance cesse momentanément de s’appesantir sur Auguste, on avait oublié tout à fait les peintres Jehan Troussebane, Lapersonne et le nègre, grâce à une commande de vues pour laquelle ils furent soudainement enlevés par un Anglais, qui se les adjoignit pour un voyage autour du monde. On ne savait pas même où ils étaient passés, eux qu’on croyait retrouver si facilement. Le domestique, toujours au secret, venait d’être amené dans le cabinet de M. X… Cette fois, le malheureux était complètement abruti, c’est pourquoi M. X… le trouva d’une force inouïe en dissimulation. Accusé, dit-il, si vous persistez dans cet odieux système de mensonges, je me verrai forcé de le noter à votre dossier. Le malheureux eut un rire stupide qui acheva d’exaspérer M. X… Vous jouez gros jeu, dit-il, en contrefaisant l’insensé : la justice n’est pas votre dupe. Le domestique n’y comprenait absolument rien ; mais les propos de M. X… joints à l’agacement qu’il éprouvait, le mirent dans un tel état de fureur qu’il fallut lui mettre la camisole de force. Enchaîné sur son lit, dans une cellule de Mazas, il fallait lui introduire de force des aliments dans la bouche. Chaque jour il recevait la visite de M. X… auquel, d’abord, il ne voulut plus répondre, et qui, les jours suivants, eut le privilège de provoquer chez ce malheureux des accès épouvantables. Un gardien facétieux, ayant donné à entendre que l’infortuné domestique avait été mordu d’un chien avant son incarcération, M. X…, qui savait que le virus rabique attend divers délais, eut soin de faire remplacer les attaches trop faibles par des chaînes qui ne pouvaient être rongées en cas d’apparition subite de la rage. Le malheureux ne pouvait remuer sur son lit. Un intermède était donné à M. X… entre les interrogatoires de ce principal