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LA MISÈRE

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imprévu ; il songeait déjà à retourner ce revers, comme il faisait ordinairement. Le secret de la porte qui communiquait à la partie mystérieuse était découvert, puisqu’on l’avait refermé. Ces gens étaient allés chercher la police, peut-être ; c’était à lui, dans ce cas, à les accuser de vol avec effraction dans la partie de l’habitation donnant sur la rue du Fer-à-Moulins, et à nier l’existence de l’autre partie. Il rédigerait à ce propos une plainte (sans date) qu’il tiendrait prête pour le cas où on ferait perquisition. Cette plainte cachetée serait laissée dans les papiers. 1 Il soutiendrait l’avoir envoyée, et quand on la découvrirait dans la perquisition, son mensonge serait coloré du nom d’oubli ; — peut-être, lui ferait-on des excuses ! Quant à ce qui pourrait être raconté par les fugitifs, qui donc le croirait ? Qui oserait peser sa personnalité à lui, Davys-Roth, avec celle de ces vers de terre ? Il les accuserait d’être payés par les ennemis de la religion, et prétendrait, au besoin, que sa sûreté personnelle, étayant la sûreté de l’État, c’était à l’État qu’on en voulait ! Ces pensées amenèrent sur les lèvres minces de Davys-Roth un sourire diabolique. Il ne restait pas inactif. Jean-Étienne le voyait distinctement, se trouvant dans l’ombre, tandis que Davys Roth apparaissait dans le cercle lumineux formé par son fanal ; le père, avec une habileté que nul ne lui eût supposée, creusa à l’aide d’une tarière des trous profonds dans lesquels il établit d’énormes barres de fer. Il y avait dans une malle une foule d’outils dont il se servait avec une habileté remarquable. Des barres de fer étaient prêtes depuis longtemps en prévision d’un siège. Jean-Étienne avait un grand désir de l’assommer par derrière avec une des barres ; mais, dans l’état de faiblesse où il se trouvait, Davys-Roth l’eût terrassé. Le parricide examinait comment les portes étaient assujetties à l’intérieur, afin de fuir après le départ de Davys-Roth. Il savait que le fanal serait emporté et que dans l’obscurité complète il aurait de la peine à retrouver l’ouverture. De ses yeux rendus hagards par la fièvre, la terreur et la haine, il ne perdait pas une seule des circonstances qui devaient le guider dans l’obscurité. Ainsi, les trois marches lui serviraient à trouver la porte ; dans la caisse à outils où puisait Davys-Roth, il trouverait des pinces, des ciseaux, tout ce qu’il fallait pour l’ouvrir. . Pendant ce temps, le poison opérait. Sa faiblesse l’inquiétait ; il avait peur de se trouver mal et de retomber ainsi au pouvoir de Davys-Roth. Des gouttes de sang s’échappaient encore de sa blessure, mais l’hémorrhagie s’était arrêtée. Jean-Étienne avait bien véritablement la vie dure. Ayant rétabli les fermetures des portes comme ne l’eût pas fait le meilleur ouvrier, Davys-Roth passa dans les pièces qui s’ouvraient sur la rue du Fer-à- Moulins.