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LA MISÈRE

791 www Londres). Les Darek comprirent que leur fils était arrivé à Londres. — Alors, ils attendirent plus paisiblement son retour. Claire aimait toute cette famille, non seulement comme si elle eût été la sienne, mais encore de toute sa reconnaissance. Elle avait tant souffert, la pauvre orpheline, et ses parents d’adoption cherchaient à le lui faire oublier. Quelle bonté je trouve ici ! se disait-elle, et quel immense dévouement ont pour moi Kerouen et sa sœur. — Elle se demandait comment il lui serait possible de les quitter jamais ? Guthile, cette étrange fille, qui présentait si bien le caractère et les traits des filles de Gaule, s’attachait, de son côté, de plus en plus à Claire. Qui donc les eut tous désunis maintenant ? Ce soir-là, ou plutôt cette nuit-là, entendant frapper à deux heures du matin à la porte du Kaër de Rouen, ils se dirent : Voilà Kerouen ! C’était lui, en effet, accompagné d’Hellen et de sa sœur la bossue, que sa difformité n’eût peut-être pas toujours sauvée de la prostitution. Sans la volonté d’Annah de léguer les orphelines à Me Rousserand, la mère Darek les eût gardées, tant leur histoire lui brisait le cœur. Il fut convenu qu’elles resteraient avec la famille Darek jusqu’à ce que Ķerouen eût trouvé Mm Rousserand. Qu’aurait-il fait, à Paris, de ces deux enfants ? Personne ne dormit cette nuit-là au Kaër de Rouen. Le jeune homme raconta toutes les aventures. — Il avait oublié, le pauvre enfant, qu’il faudrait recommencer le lendemain un voyage à Paris. Kerouen, levant les yeux sur Claire, s’aperçut qu’une petite branche de verveine, séchée depuis longtemps, était dans ses cheveux. Claire, regardant Kerouen, vit à la boutonnière de sa veste une petite branche de gui. Pauvres enfants ! Ils s’aperçurent alors que depuis de longues années ils s’aimaient à travers tout. Amour jeune et vivace, qui n’avait besoin pour vivre que d’un regard jeté de loin sur leur enfance. Il était resté au fond de leur cœur un chant pur comme l’onde et fort comme la mort. Ce chant de temps à autre berçait leurs cœurs et leur faisait oublier la douleur. Tous deux en ce moment se rappelaient leur enfance, le joyeux rire de Claire les propos déjà graves de Kerouen et de Guthile. Ce fut comme une échappée de vue, ils sourirent tous trois en se regardant, Guthile, Kerouen et Claire. Les petites Anglaises dormaient dans le lit de Guthile, confiantes et heureuses. La nuit entière se passa à raconter : Kerouen ce qui s’était passé à Londres ; les autres ce qui s’était passé au Val des Chênes. La vieille gouvernante de l’abbé Marcel avait passé à son successeur, mais elle n’aimait pas ce nouveau maître comme l’ancien. Elle avait reporté toutes ses affections sur le chien qu’il fallait une partie du temps laisser aller avec elle,