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LA MISÈRE

813 En hommes qui connaissent les éléments dont ils se servent, les prisonniers préparèrent la catastrophe dans laquelle ils voulaient finir leur existence en même temps que celle de leurs bourreaux. Des monceaux de houille furent détachés et émiettés pour former le noyau d’un embrasement. Les prisonniers y ajoutèrent quelques combustibles, et, tandis que la commission, les soldats et les bourreaux descendaient dans la mine, ils y communiquèrent le feu à l’aide d’une lampe. — Des détonations souterraines les avertirent que la mort venait ; ils se rangèrent contre les parois pour l’attendre, et bientôt l’immense incendie s’avança vers eux comme un océan Une dernière et formidable détonation retentit, ébranlant la mine et projetant la flamme au dehors avec des fragments de roche et des débris de corps humains. Ainsi périrent ensemble la commission des tourmenteurs et leurs victimes. Au dehors, les populations qui fuyaient devant le métel, erraient affolées aux lueurs de l’incendie qui s’échappait en immenses spirales par la bouche du puits. La neige et les loups engloutirent la plupart des fuyards, dans la plaine fouillée par le vent. Aujourd’hui encore, il sort de la fumée de cet abîme où brûle encore au loin la houille. On l’appelle la fosse rouge, sans doute à cause de la couleur éclatante des flammes qui s’en échappaient au milieu de la nuit et de la tempête. CIII LES DAMES ROUSSERAND Annah ensevelie dans la mine en flamme, Claire enfouie dans la grotte des Darek pour longtemps sans doute, on eût pu croire qu’Helmina jouirait d’une impunité éternelle ; de plus, l’article de Davys-Roth avait arrêté l’éveil donné de nouveau aux journaux mal pensants. Mais autour de tous les bandits que nous avons vus en scène, s’amoncelaient les ressentiments d’autres bandits, les recherches de quelques honnêtes gens ; le maître suprême des événements, le hasard, se chargeait du reste. Le vieil Allemand qui croyait avoir vu Helmina chez son prince, avait parmi ses connaissances à Londres deux dames qui, après avoir longtemps voyagé en Europe étaient depuis peu à Londres. Il les avait rencontrées d’une manière assez bizarre : un cab, dont le cheval s’emportait, allait passer sur elles ; il eut la chance, vu sa force prodigieuse, d’arrêter tout court l’animal. Depuis ce temps-là, une liaison de reconnaissance d’un côté, d’un peu de fierté de l’autre, s’était établie entre eux. L’Allemand posait en sauveur et les deux femmes le laissaient faire volontiers ; il était si bienveillant et si bête, ce bonhomme ! Quoique les opinions de Mme Rousserand fussent différentes des siennes, il