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LA MISÈRE

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On servit ce soir-là une foule de rafraîchissements. La princesse elle-mème prit soin des invités et, sans ostentation, avec une politesse grâcieuse elle n’oublia personne. Sansblair connaissait les habitudes d’Helmina, pourtant il ne songeait pas qu’il lui fut possible de jeter quelque chose de malfaisant dans son verre, devant tout ce monde. Quelle que fût la confiance de l’ancien bandit dans cette impossibilité, il trouva à la liqueur un goût fade et se contenta d’y tremper ses lèvres. En rentrant, Claude Plumet remarqua que l’enfant considérait et tenait dans ses mains un petit objet. Qu’as-tu là, lui dit-il ? Firmin hésita d’abord, puis prenant son courage : C’est un petit flacon, dit-il je l’ai ramassé à terre, mais comme j’avais vu maman s’en servir je l’ai gardé, afin d’avoir quelque chose d’elle. Ne crains rien, dit Claude Plumet, tout en regardant. C’était un mignon flacon fait d’une pierre précieuse, avec une ou deux gouttes de liqueur au fond. · Prête-le moi seulement. — Vous me le rendrez. Sans doute, tu vas l’avoir de suite. L’enfant donna le flacon à Claude Plumet qui s’en saisit et courut le faire analyser, chez un pharmacien. C’était véritablement du poison. Un poison grâcieux comme le flacon venu des contrées chauffées au soleil de l’équateur. L’enfant eut beau pleurer, Claude Plumet garda le flacon, se contentant de le lui montrer de temps à autre, en disant : Tu comprendras un jour pourquoi je le garde, c’est encore pour te rapprocher de ta mère. Ce n’est pas pour lui faire du mal, au moins ? Vous me faites peur. — Pourquoi veux-tu que je lui fasse du mal ? — Est-ce que je sais, moi ? Pourquoi êtes-vous sorti avec le flacon ? Parce que je voulais savoir si c’était celui que je connais. Si ce n’est pas celui là, eh bien, mon gars, c’est que la princesse n’est pas ta mère. Est-ce celui-là ? — Nous saurons cela plus tard ; il faut attendre un peu. Attendre toujours attendre ! disait l’enfant ; et il restait devant la fenêtre regardant sans voir. Un instant Claude Plumet en eut pitié : il y a comme cela, se dit-il, de pauvres victimes broyées sans avoir rien fait, dans tout ce que nous faisons. Un instant la longue série de ses crimes se dressa devant lui ; des femmes échevelées et sanglantes, de toutes jeunes, avec des cheveux blonds ou noirs, des vieilles, leur tête grise toute maculée de sang, les petites de la maison de convalescence, et l’homme de la carrière et tant d’autres, Rousserand, Jean Karadeuk