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LA MISÈRE

823 la maison de protection des jeunes filles pauvres, se décida un jour à venir en compagnie d’Amélie et de Rosa visiter cette sainte institution. Des caves aux greniers, guidées par le grand abbé et suivies de Rosa, les deux femmes parcoururent la maison ; ce qui les surprenait, c’était la multitude de petites cellules rayonnant sur un coridor sombre. On croirait, disaient-elles que ceci est pour un couvent. Que fera le comité de toutes ces petites cellules ? Notre saint-père le pape, répondait le grand imbécile d’abbé, a peutêtre daigné faire lui-même le plan. Qui sait à quelle haute destination de sainteté est prédestinée cette œuvre ! En passant dans les longs corridors, les trois femmes se prirent à admirer les fresques terminées et reçues par l’abbé. Certains détails qui lui avaient échappé leur sautaient aux yeux. Tiens ! disaient-elles, regarde donc le bon Dieu, comme il est drôlement tourné, derrière ce buisson. En effet, les peintres avaient suivi le texte biblique : ce n’était pas son visage que le Très-Haut montrait à Moïse. Ou bien encore : Regarde donc sous ce lit, on dirait un vase. L’abbé était d’autant plus scandalisé de ces découvertes, qu’il n’y avait abso-. lument rien vu. Il se promit bien d’en parler sévèrement aux peintres. Quelques autres réflexions excitaient sa curiosité. Vois donc que c’est joli. On dirait Angèle et sa petite. Qu’est-ce qu’Angèle ? disait l’abbé. Une jeune fille de notre connaissance (une sainte). Ceci le calmait un peu. Mais voilà bien autre chose : elles venaient de se reconnaître réciproquement dans deux femmes des Noces de Cana, parlant d’un peu trop près à deux apòtres. Cette fois elles se contentèrent de se pousser le coude. Ce fut bien autre chose, quand elles entrèrent près des peintres. Elles les connaissaient autrefois sans savoir même qu’ils eussent jamais vu Angèle ; les deux femmes éprouvèrent en présence des jeunes gens une grande frayeur d’être reconnues. Elles ne se trompaient pas, les peintres avaient trop de mémoire des physionomies pour s’y tromper, mais sachant combien de transformations se trouvent dans la vie de certaines gens, ils connaissaient celle de ces dames comme une des plus propres à évoluer dans le sens où elles leur apparaissaient, ils respectèrent donc leur incognito. Le nègre allait se récrier, un regard de Jehan Troussebane arrêta sa réflexion ; il demeura quelques instants la bouche ouverte et n’en pouvant faire sortir une parole, il y fit entrer une bribe de quelque chose d’inconnu aux consommateurs ordinaires. L’abbé examina sévèrement les peintures commencées et se plaignit de la pose de Jehovah derrière le buisson.