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LA MISÈRE

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Il alla s’enfermer dans ses souterrains ; là, marchant à grands pas sous les voûtes sombres, il regarda en face la situation. Il fallait que tout fût décidé, avant que l’ennemi n’eût agi ; sa mort, à lui Davys-Roth, empêcherait le jour de se faire, s’il savait embrouiller les choses auparavant ; c’était le seul moyen de préserver son œuvre. Ayant longtemps médité, il remonta, et se rendit chez son vieil ami le comte Henri de Montnoir : le vieillard demeurait rue des Postes, dans un hôtel presque croûlant ; une ruine, habitant une autre ruine. 1 C’était un des derniers survivants, le seul survivant, peut-être, de 1793, toutes les cyclones avaient passé sur ce rocher sans l’émietter ; on ignorait son âge, chacun l’ayant toujours vu droit, maigre, ses cheveux blancs attachés avec un ruban fané. Ses vêtements étaient faits à la mode, parce qu’il laissait libre le tailleur. Peu lui importait ; mais il les portait de si étrange sorte qu’ils faisaient penser aux costumes de nos arrière-grands pères. L’enfant qu’on lui avait enlevé était le dernier fils de son petit-fils, tous ses descendants jusque-là étant morts, ce vieux sang ne pouvait germer de forts rameaux. Le comte n’était jamais sorti de ce trou, depuis sa naissance, il n’avait jamais pensé que les emblèmes fleurdelisés qui tombaient de vétusté autour de lui, pussent le comprometre et nul n’avait fait attention ni à la mâsure ni à celui qui l’habitait, à part Davys-Roth, qui savait que la mâsure contenait des trésors, et que des trésors entre ses mains étayaient la religion croûlante. Il entra ce jour-là sans beaucoup de cérémonie chez son vieil ami, abordant de suite le sujet de sa visite : Comment se fait-il, que vous ayez rendu public, le chiffre approximatif de votre fortune et l’emploi que vous en voulez faire ? dit-il avec le ton d’un homme qui va annoncer un malheur. Moi, dit le vieillard, je n’ai rien publié ni rien défendu, mon notaire aura bavardé. Il en faut changer immédiatement, dit Davys-Roth, pour étouffer ces bruits. Quels bruits ? – Écoutez, à l’annonce que des recherches ont toujours été faites, au sujet de l’enfant, il m’est venu plus de trente imposteurs, dont sans moi vous seriez la victime ; de plus, me sachant votre exécuteur testamentaire, on a voulu m’assassiner. Le vieux écoutait, droit, raide, et un peu pâle. Les raisons de Davys-Roth ne souffraient pas de réplique ; il fut convenu que dès le jour même, les papiers dont le notaire Christophe était dépositaire lui seraient retirés pour être remis sous le sceau du secret, au notaire Labre, auquel les malins de l’étude ajoutaient le qualificatif de saint. On lisait le soir dans le Cœur de Jésus l’entrefilet suivant, composé par DavysRoth et signé X.