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LA MISÈRE

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Décidément la chance était pour lui, mais le même vent ne souffle pas toujours. CVIII L’ABBÉ PHILIPPI Ayant mis en sûreté les immenses valeurs qu’il avait rapportées, l’abbé Philippi essaya de renouer le réseau d’intrigues ourdi par Davys-Roth. Mais en dépit de son activité, cette prodigieuse besogne n’eut pas entre ses mains semblable résultat, il n’apportait pas à l’œuvre anti-sociale le même sauvage fanatisme. Si Philippi ne regardait pas à la vie des autres, Davys-Roth n’avait jamais regardé à la sienne ; c’était une grande différence de force. Cependant l’œuvre de Davys n’était point tombée en quenouille. Si la disparition n’étonna pas l’abbé Philippi, le récit fait par les journaux, du bonheur qu’avait eu le vieux comte de Montnoir de retrouver son petit-fils l’inquiéta bien autrement. Il y avait dans les valeurs remises par Davys-Roth à Philippi tant de choses qui venaient à n’en pas douter du vieillard, qu’il se crut obligé de venir étudier cette question sur le terrain même ( et peut-être l’y terminer). En conséquence, il prit les papiers d’un instituteur dont il avait hérité de la même manière que son maître avait hérité du vieux comte de Montnoir sous le nom de Michaëli, et vint se fixer pour quelques mois à Paris. Si Michaëli eût eu des amis à Paris, cette miraculeuse résurrection n’eût pas tardé à éveiller des soupçons. Mais Rome est loin et souvent les amis aussi. Philippi pensait que l’enfant allait dans une école quelconque ou avait un professeur à la maison : l’état d’instituteur était donc on ne peut plus commode pour l’approcher chaque jour ; il avait l’adresse de l’hôtel, rien n’entravait ses projets. L’abbé vint louer une petite chambre non loin de l’hôtel, et celui dont il portait le nom ayant eu quelques idées libérales, il se présenta d’abord dans des institutions laïques. On touchait aux vacances, le personnel est presque impossible à changer à cette époque, nulle part l’abbé ne trouva de place. C’était bien ce qu’il attendait. Ne pas trouver de place, être étranger et sans ressources, c’était des titres à obtenir au moins quelques lettres de recommandation qu’il entassait au lieu d’en faire usage. Pendant ce temps il s’informait de tout ce qui concernait la manière de vivre des deux vieillards et de l’enfant. Il apprit ainsi que M. de Montnoir obéissant aux vieux préjugés (que le fils du guillotiné attendait l’occasion de violer) n’avait point accusé Davys-Roth. Pourtant, il avait des preuves évidentes contre lui ; mais à part ce qui avait servi à la reconnaissance de l’enfant, il laissait tout dans l’ombre. Le bonhomme agit avec une grande délicatesse, se dit l’abbé, à moins cependant qu’il n’y ait quelque chose de mauvais derrière cette mansuétude.