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LA MISÈRE

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CHAPITRE XXI HISTOIRE D’UN MAITRE D’ÉCOLE Le balayeur toussa, cracha, se moucha longuement, dans un grand morceau de papier qu’il mit dans sa poche, bourra consciencieusement sa petite pipe de terre, l’alluma lentement, en tira quelques bouffées de fumée qu’il envoya en longues spirales aux solives du plafond, se cala sur sa boîte et commença son histoire. « Il y avait, dans un village d’Auvergne, un jeune maître d’école, qui vivait content de son sort, heureux de se sentir utile et d’habiter un beau pays. » Comment un beau pays ? » demanda Auguste qui n’était pas bien fort en géographie un beau pays, la patrie des charbounias, des porteurs d’eau et des marchands de bric-à-brac ? » C’est la plus belle contrée de la France, répondit le balayeur avec un certain orgueil ; « nulle part il n’y a de plus hautes montagnes, de plus belles vallées, de plus riantes plaines étendues entre les collines. Il faut la voir au printemps, quand les pommiers, les pêchers en fleur neigent blanc et rose sur le vert des prés ! Allons, fit Auguste, mettons que je n’ai rien dit et continuez votre histoire. > Le balayeur reprit : « Le maître d’école n’avait plus au monde qu’une petite sœur, et une vieille grand’mère. Elles étaient tout pour lui, il était tout pour elles. La grand’mère faisait la cuisine, et s’occupait du ménage ; la petite, une joyeuse enfant, tout en babillant comme un oiseau, aidait la bonne vieille et grandissait et se portait comme un charme. On les aimait tous trois dans le village de X***. Leur vie s’écoulait paisible, sans grande joie mais exempte de toutes les agitations qui donnent la fièvre aux grandes villes. « < Songe donc pas de loyer à payer, ils étaient logés dans la maison d’école, une maison blanche avec des treilles, une maison devant laquelle s’étendait une grande place plantée de tilleuls. Et puis ce n’est pas tout, il y avait encore derrière un petit jardin pour des légumes et des fleurs. Le maître avait un petit traitement qui suffisait à ses besoins et à ceux de sa famille. Les paysans lui donnaient du lait, du beurre et des fruits… « Nom d’un ch… ! » interrompit Auguste, c’était un paradis ça et si tout le monde en avait autant ?… « Il y aurait bien des soucis de moins parmi les pauvres, dit le balayeur, de ces soucis qui consomment si bêtement nos forces. Ah ! si les hommes s’entendaient, il serait plus facile qu’on ne pense de se loger et de se… Mais laissons cela, il s’agit du maître d’école de X… et de sa famille pour le moment. » « Ce maître s’appelait Léon Paul. C’était un esprit droit, un cœur candide et bon, croyant au bien et cherchant à le faire par tous les moyens possibles. A