Page:Michelet - Œuvres complètes Vico.djvu/554

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la satire, ou tragédie antique jouée par des satyres. Dans cet âge de grossièreté, le premier déguisement consista à se couvrir de peaux de chèvres[1] les jambes et les cuisses, à se rougir de lie de vin le visage et la poitrine, et à s’armer le front de cornes[2]. La tragédie dut commencer par un chœur de satyres ; et la satire conserva pour caractère originaire la licence des injures et des insultes, villanie, parce que les villageois, grossièrement déguisés, se tenaient sur les tombereaux qui portaient la vendange, et avaient la liberté de dire de là toute sorte d’injures aux honnêtes gens, comme le font encore aujourd’hui les vendangeurs de la Campanie, appelée proverbialement le séjour de Bacchus. Le mot satire signifiait originairement en latin mets composé de divers aliments (Festus)[3]. Dans la satire dramatique, on voyait paraître, selon Horace, divers genres de personnages, héros et dieux, rois et artisans, enfin esclaves. La satire, telle qu’elle resta chez les Romains, ne traitait point de sujets divers.

Grâce au génie d’Eschyle, la tragédie antique fit place à la tragédie moyenne, et les chœurs de satyres aux chœurs d’hommes. La tragédie moyenne dut être l’origine de la vieille comédie, dans laquelle les grands personnages étaient traduits sur la scène ; et voilà pourquoi le chœur s’y plaçait naturellement. Ensuite vint Sophocle, et après lui Euripide, qui nous laissèrent la tragédie nouvelle, dans le même temps où la vieille comédie finissait avec Aristophane. Ménandre fut le père de la comédie nouvelle, dont les personnages sont de simples particuliers, et en même temps imaginaires ; c’est précisément parce qu’ils sont pris dans une condition privée qu’ils pouvaient passer pour réels sans l’être en effet. Dès lors on ne devait plus placer le chœur dans la comédie ; le chœur est un public qui raisonne, et qui ne raisonne que de choses publiques.

  1. Aussi a-t-on lieu de conjecturer que la tragédie a tiré son nom de ce genre de déguisement, plutôt que du bouc, tragos qu’on donnait en prix au vainqueur. (Vico.)
  2. C’est de là peut-être que chez nous les vendangeurs sont encore appelés vulgairement cornuti. (Vico.)
  3. Lex per satiram signifiait une loi qui comprenait des matières diverses. (Vico.)