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COMME JADIS…

Jacques, et, plus loin encore, au coteau de Sèvre et à Beautour, faubourgs perdus dans la vraie campagne.

Quelques-uns saluaient en nous croisant, et je remarquai vite que ceux-là marchaient d’un pas moins lassé et que sur leur visage semblait flotter le reflet d’une flamme intérieure. Maignan me les nommait rapidement à voix basse.

— Bousselot de Sèvre, Leduc du Plenty… et toute cette bande de jeunes. Regarde-les, ils seront tes auditeurs demain… et encore ceux-ci qui sont de Saint-Jacques, et celui qui traverse, et cet autre qui prend la rue Petit-Pierre…

— Tu les connais tous ?…

— Oh ! non, ceux que j’ignore, dans le seul quartier des Ponts, sont encore plus nombreux, et je me désespère de ne savoir mieux les aborder. Regarde ceux qui viennent à nous avec des yeux de haine parce que nous portons un veston et qu’ils sont, eux, vêtus d’une salopette. Sans doute, l’un ou l’autre sait mon nom, peut-être sont-ils tous des ouvriers de la raffinerie ; pour eux, je suis Henri Maignan, le fils du patron, un contrefait, une espèce d’infirme qui ne peut faire la fête et qui prépare sa candidature de député…

— Henri !…

— Ne te scandalise pas. C’est ainsi. Si tu connaissais mes débuts…

Nous continuions de croiser des ouvriers noircis par le travail, au-devant desquels s’élançaient