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Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/147

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COMME JADIS…

— Pardonne-moi, je te jure…

— Te pardonner quoi ?.. Je viens d’acquérir une certitude qui me vieillit ou me rajeunit de dix ans, je ne sais plus. Ai-je beaucoup vécu pendant dix minutes, ou le passé s’est-il aboli et suis-je revenu à mes vingt ans ?

— Acceptons cette dernière hypothèse, s’exclama joyeusement Maignan.

Minnie, quand le rideau se fut levé, après que mon ami m’eut présenté en quelques mots chaleureux et trop flatteurs, je laissai un long silence planer. Ce ne fut pas un moyen d’orateur cherchant à s’imposer à ces simples. Au-dessus de ces visages déjà recueillis et attentifs, j’évoquais l’image d’Herminie, douce et vaillante, dont l’âme a ressuscité en vous ; à toutes deux je dédiai mentalement ce premier effort vers un idéal d’amour humain.

Vous recevrez par le même courrier, mon amie, le texte de ma conférence. Ce soir, je vibre d’émotions diverses. Je ne trouverais pas le sommeil. J’ai besoin de descendre en moi, jusqu’au fond mystérieux où s’élaborent les intimes pensées, celles qui échappent au contrôle de notre volonté… Je dois me ressaisir, mesurer la distance que les mots ineffaçables ont mis entre elle et moi, être certain que pour toujours j’ai échappé à la domination des prunelles ardentes…