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COMME JADIS…


MINNIE À GÉRARD

Notre vie est tellement faite, à titre unique, de la pluie, du beau temps, de la neige, qu’il me vient tout de suite à l’idée de vous dire : il fait beau, il fait froid, les bêtes gambalent ou sont transies, nous vivons quatorze heures par jour dehors ou nous sommes calfeutrés derrière nos murs de troncs d’arbres « bouzillés », sous notre toiture de bardeaux dont les clous éclatent par l’action du froid…

Gérard, il a fait si beau depuis ma dernière lettre, depuis trois semaines, qu’il a fallu oublier tout ce qui n’était pas labours, hersages, semences.

Nous sommes en mai, il reste l’orge à semer, et un peu plus tard l’avoine qui ne doit pas mûrir, que l’on coupera en vert pour la nourriture des vaches laitières, des gros chevaux au repos. Quel coup de collier ! suivant l’expression de Mourier, nous avons dû donner.

Nous cultivons nos soixante-quinze arpents sans aide « d’engagés ». Au moment de la moisson seulement, un des nombreux fils Trudel vient nous aider à mettre en quintaux.

Des soixante-quinze arpents, quarante sont de la vieille terre, c’est-à-dire « cassée » depuis plus de cinq ans, exempte de souches, d’un humus riche et encore fine aux doigts ; il est aisé de la labourer avec la charrue à deux socs et à siège. C’est mon ouvrage réservé.