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COMME JADIS…

pas assez déboisées, c’est hasardeux. Cette année, cependant nous en avons semé vingt-cinq arpents. C’est beaucoup, c’est une imprudence commise contre les avis de Mourier.

L’idée de mon père était de faire de Lavernes le centre de la production du blé en Alberta-Nord. La nature du sol se prête admirablement à cette culture. Le bois, la brièveté de la saison sont les deux seuls obstacles. Aujourd’hui, les espaces déboisés par les colons permettent déjà d’essayer de semer avec plus de chances de succès. D’autre part, mon père a expérimenté différentes espèces de semences extra-hâtives. Durant les dernières années de sa vie, il était parvenu à produire un grain qui mûrit dix jours plus tôt que les variétés les plus précoces. Dix jours, c’est la possibilité d’échapper à la désastreuse gelée d’août… Je me souviens de la parcelle de terre ensemencée, qu’il surveillait avec un soin jaloux, épiant les pointes vertes, évaluant leur nombre au pied carré, courbant sa haute taille à la recherche du moindre brin d’herbe. Lui, qui détestait tuer sans nécessité immédiate, faisait monter par notre chat Pit une garde sévère contre les gophers.

Nous avons donc semé sur le labour d’automne. Dès que les premiers soleils eurent fait monter de la terre une buée tiède, la semeuse, attelée à trois chevaux, a enfoui le beau grain roux, dur et farineux. Les saules étaient encore en « minons », les