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COMME JADIS…

ble. L’idée ne m’était même pas venue de le faire descendre dans ma bibliothèque. Pourquoi, brusquement, à ce moment, le mystère de ses tiroirs clos surgit-il devant moi, tentateur pour la première fois ?

Je ne cherchai pas à m’expliquer l’attraction qui conduisait mes mains tremblantes et avides au long des panneaux sculptés pour surprendre le secret de leur fermeture. Enfin, sous la pression énervée de mes doigts, une porte céda. Mon effort se fit plus insistant, presque brutal et bientôt une odeur âcre de bois vermoulu me prit à la gorge, pendant que des liasses de lettres jaunies débordaient de mes mains, coulaient jusqu’au plancher et que se faisait plus âcre l’odeur de choses anciennes, privées d’air, mortes à la lumière, depuis quand ?

Les lettres à mes pieds, je n’osais plus faire un geste : j’étais confus, honteux comme en face d’un personnage qui m’aurait surpris en train de commettre un sacrilège…

À quelle époque remontaient ces lettres ? Qui les avait écrites ? Qui les avait reçues ? Lorsque j’arrivai à formuler ces questions, ma première volonté, qui avait été de replacer les liasses dans le bahut, s’évanouit. J’éprouvais maintenant la curiosité ardente de connaître l’histoire d’un passé dénoncé lointain par l’aspect des feuillets, de retrouver la pensée intime scellée depuis des siècles, peut-être.